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Chili, les visages de l’extrême-droite

Dernière mise à jour : 20 déc. 2021


José Antonio Kast : "Si Pinochet était encore vivant, il voterait pour moi".


Ce 18 décembre, Gabriel Boric a remporté le second tour de l'élection présidentielle, avec 55,8% des suffrages : il incarne une "génération de trentenaires" prête à prendre la relève. Mais le candidat d'extrême droite José Antonio Kast, réunit 44,13 % (il était arrivé en tête du premier tour avec près de 28% des voix). Dans son sillage, 15 député.e.s sont entrés au parlement chilien sous la bannière du Front Social Chrétien. Petit trombinoscope de la fachosphère chilienne, nostalgique de Pinochet.


Ce dimanche 18 décembre au Chili, le second tour de l’élection présidentielle devait décider qui sera le successeur à la présidence de la République du milliardaire conservateur Sebastián Piñera, qui laisse le pouvoir avec un niveau record d’impopularité et une économie exsangue. Au premier tour, le candidat d’extrême-droite José Antonio Kast, nostalgique de Pinochet et fervent admirateur de Bolsonaro, était arrivé en tête avec 27,9% des voix. Le jeune candidat de gauche Gabriel Boric, porté par une coalition qui englobe communistes, écologistes et sensibilités de centre gauche, était arrivé en seconde position avec 25,92 %. Tous les partis traditionnels, de droite comme de centre gauche, ont mordu la poussière, à un tel point qu’un outsider populiste anti-immigration et anti-globalisation, Franco Parisi, exilé aux États-Unis et qui n’a pratiquement fait campagne, a raflé la troisième place du scrutin, à la surprise générale, avec 12,8 % des suffrages. Franco Parisi n’avait pas donné de consigne de vote, et sa base de soutien semble s'être partagée entre Kast et Boric.

Jorge Sharp, 36 ans, maire de Valparaiso, et Iraci Hassler, 31 ans, maire communiste de Santiago.


Gabriel Boric a finalement élu président du Chili, avec 55,8% des suffrages exprimés. Agé de 35 ans, celui-ci incarne « une génération de trentenaires aux portes du pouvoir », selon Le Monde. Un mouvement qui a commencé dès 2016 avec la victoire aux élections municipales de Jorge Sharp à Valparaiso, suivie en mai dernier de la communiste Iraci Hassler (31 ans) à Santiago.

Izkia Siches, directrice de campagne de Gabriel Boric.


Et si les médias se sont beaucoup intéressés à Boric, peu ont été voir du côté de son entourage. Dommage, car elle aussi a « crevé l’écran » : Izkia Siches, 35 ans, a été la directrice de campagne du candidat de gauche. Cette jeune médecin, qui a milité au sein de la jeunesse communiste du Chili, a été la première femme à être élue présidente du Collège médical du Chili. Elle s’est notamment battue pour la dépénalisation partielle de l’avortement, considéré comme un crime sous Pinochet. Et récemment, elle a acquis une grande popularité dans les médias pour son rôle dans la gestion de la pandémie.

Emilia Schneider, 35 ans, première députée transgenre de l’histoire du Chili.


Quel que soit le résultat du second tour de l’élection présidentielle, ce dimanche, on connait d’ores et déjà la composition de la future Chambre des députés et du Sénat (les élections législative et sénatoriale ont eu lieu le 21 novembre, en même temps que le premier tour de la présidentielle). D’ores et déjà, la gauche est majoritaire au Parlement, avec 81 député.e.s sur 155 (dont 37 élu.e.s Apruebo Dignidad, la coalition de Gabriel Boric, et 37 élu.e.s du Nouveau Pacte Social). Sur ces 81 député.e.s, 27 ont moins de 35 ans. Parmi euxelles, Emilia Schneider, ancienne dirigeante étudiante, première députée transgenre de l’histoire du Chili.


La situation est plus serrée au Sénat (dont le renouvellement n’était que partiel), avec 22 élu.e.s de gauche, 25 de droite et 3 indépendants (dont l’extraordinaire Fabiola Campillai, cette ouvrière qui a perdu la vue lors d’une manifestation, suite à un tir policier).


Et maintenant, les visages de la fachosphère...


Le Front Social Chrétien, la formation d’extrême-droite de José Antonio Kast, a fait entrer un seul parlementaire au Sénat, Rojo Edwards, 44 ans, élu dans la région d’Araucanía. Le 30 novembre dernier, il a fermement rejeté les conditions posées par le candidat de droite, Sebastián Sichel, pour soutenir Kast au second tour. Ces conditions étaient, entre autres : le maintien du multilatéralisme dans les relations internationales, le respect sans restriction des droits de l'homme, l'abandon des discours de haine, le respect des minorités et de la diversité. Des questions sur lesquelles l’extrême-droite ne transige pas. En juillet dernier, Rojo Edwards a menacé de faire expulser du Chili l’ex-présidente Michelle Bachelet, est Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme depuis 2018. Michelle Bachelet, qui jouit d’une forte popularité au Chili, a appelé à voter pour Boric.


Au Congrès des députés, le Front Social Chrétien est parvenu à faire élire 15 député.e.s (sur 155). La dose de proportionnelle aux élections législatives a permis qu’ils/elles soient élu.e. avec des scores assez faibles, de 3,1% à 16,4% des suffrages exprimés, loin des 27,9 % % recueillis par José Antonio Kast à la présidentielle (il y avait certes beaucoup plus de candidats dans chacune des 28 circonscriptions). Qui sont ces élu.e.s d’extrême-droite ? Pour les humanités, petit tour d‘horizon de la fachosphère :

Chiara Barchiesi, 24 ans, ingénieure agronome, membre du Parti républicain (dont son frère est secrétaire général), élue dans la région de Valparaiso, élue avec 6,9% des suffrages (arrivée en 5ème position). En tant qu’étudiante, a fait partie du Movimiento Gremial, un mouvement d’extrême droite créé par Jaime Guzmán, collaborateur juridique et politique du général Pinochet pendant la dictature (lire ci-dessous). Elle préside le mouvement Soy Católico, dont la mission est de « préserver l'identité chrétienne au Chili et dans le monde, transmettre la joie de l'Évangile, structurer et diffuser les différents mouvements et charismes de l'Église ».


Luis Fernando Sánchez, avocat, élu dans la région de Valparaiso (en 5ème position, avec 4,6% des suffrages). Il a créé une plateforme « Charlas institucionales » pour laisser en l’état la Constitution issue de l’ère Pinochet. Lui aussi a fait partie du mouvement grémialiste.






José Carlos Meza, 32 ans, avocat en droit constitutionnel, élu avec 4,4% des suffrages, en 5éme position. Il a été conseiller juridique de la Fondation Jaime Guzmán, créée pour entretenir la mémoire de Jaime Guzmán, théoricien de l’extrême droite au Chili, admirateur du régime franquiste en Espagne, membre de l’Opus Dei et conseiller de Pinochet.

Johannes Kaiser, 45 ans frère de l’essayiste de droite Axel Kaiser, se définit comme un « national-libertarien » (élu avec 5,8% des suffrages, en 3ème position). Il est issu d’une famille d’immigrés allemands. Officiellement, son grand-père, Juan Kaiser, aurait été « un social-démocrate qui a fui l'Allemagne nazie… dans les années 1950 ». Bizarre, non ? Opposé à l’avortement, aux unions civiles entre personnes de même sexe, à l’immigration, etc., Johannes Kaiser se répand sur internet en théories conspirationnistes. En 2019, il a financé un encart publicitaire dans la presse chilienne pour célébrer le coup d’État fasciste du 11 septembre 1973.

A gauche : Gonzalo de la Carrera, homme d’affaires, élu avec 11,1% des suffrages. Issu d’une famille de la grande bourgeoisie chilienne qui s’est exilée aux États-Unis, en Floride, « pour éviter le communisme de Salvador Allende ». Dans une émission sur CNN Chile, le 28 octobre dernier, il a affirmé qu’il « condamnait toutes les dictatures »… « sauf celle de Pinochet » (qu’il qualifie d’ailleurs de « gouvernement militaire », non de dictature).

A droite : Cristián Araya, avocat et « psychologue des organisations », élu avec 4,1% des suffrages. Il est chercheur associé au sein de la Fondation Jaime Guzmán. Pendant la campagne, il a affirmé qu’une de ses priorités serait d’obtenir la dissolution de l’Assemblée Constituante.


A gauche : Juan Irarrázaval, avocat, est lui aussi chercheur associé à la Fondation Jaime Guzmán. Élu avec 4,1 % des suffrages, en 5ème position.

A droite : Benjamín Moreno Bascur, élu dans la région du Maule avec 6,9 % des suffrages (en 3ème position), est ingénieur agronome, issu d’une famille de corraleros. Aime les rodéos et défend les traditions du monde rural.

A gauche : Sara Concha Smith, 25 ans, étudiante en médecine, élue dans la Région du Ñuble avec 3,1 % des suffrages (en 8ème position). Militante du Parti Conservateur Chrétien.

A droite : Agustín Romero, avocat, ancien directeur des affaires juridiques de la ville de Santiago, élu avec 3,6% des suffrages, en 6ème position). Il est sous le coup d’une enquête pénale pour des délits de fraude fiscale et de falsification d'acte public. Sans rire, l’une de ses propositions de campagne a été de créer un fichier des personnes corrompues afin que celles-ci sont inéligibles à vie aux fonctions publiques.

Cristóbal Urruticoechea, 46 ans, publicitaire, député de la région du Biobío, élu avec 11,6 % des suffrages. Il a commencé sa carrière politique en tant que membre de l'Union démocratique indépendante (UDI), mais après plusieurs différends avec l'emblématique Joel Rosales Guzmán, maire de Los Ángeles pendant sept ans et membre du même parti, il a décidé de démissionner. Il a été membre du parti Rénovation nationale (RN) jusqu'en 2020. Père de 7 enfants, il est particulièrement obsédé par les questions de genre. Contre l’usage de la langue inclusive à l’école, s’oppose aux références au féminisme, à la diversité sexuelle et à l’idéologie du genre à l’Université.

A gauche : Mauricio Ojeda, journaliste et politicien, ex-gouverneur du Cautín, élu dans la région d’Araucania, avec 6,2% des suffrages, en 3ème position. Aucun renseignement précis sur internet.

A droite : Stephan Schubert, avocat, professeur de droit international, membre du Parti Républicain élu dans la région d’Araucanía avec 5,3% des suffrages, en 5ème position. Fervent catholique et anticommuniste viscéral.

On a gardé le meilleur pour la fin. Gloria Naveillán, 51 ans, née à Chicago, n’est pas franchement une marrante. Élue avec 5,8% des suffrages, en 4ème position. Nostalgique de Pinochet (« au moins l'ordre régnait. Il a emmené le pays dans la bonne direction, il a instauré un processus démocratique », sic), elle est présidente de l'Association Grémialiste de Producteurs Agricoles d’Arauco-Malleco. « Elle ne représente pas une opinion politique qui peut être donnée en public et qui peut conduire à une solution, elle ne fait pas partie des familles de propriétaires les plus influentes, mais elle exprime le sentiment que certains ont en privé », commente un ancien dirigeant du syndicat agricole. Farouchement anti-mapuche, elle propose pour mater les revendications des peuples indigènes de déployer « encore plus de force police et de militaires à la main ferme ».


Les milieux d'affaires avec José Antonio Kast

pour éviter "la dictature du prolétariat"


Juan Sutil, le président de la puissante Confédération chilienne des secteurs de la production et du commerce.


« Les entrepreneurs ne peuvent pas éprouver beaucoup de sympathie pour les idées de Boric », vient de déclarer au quotidien espagnol El País, dans un entretien publié la veille du second tour du scrutin présidentiel, Juan Sutil, le président de la puissante Confédération chilienne des secteurs de la production et du commerce (CPC), lui-même patron d’une firme d’agro-business. Selon lui, « il n’y jamais eu d’extrême droite au Chili », en revanche, une victoire de Boric pourrait « amener à la dictature du prolétariat ». Juan Sutil fait l’essentiel de ses affaire au sud du pays, dans la région d’Araucanía, là où portent essentiellement les revendications mapuches sur le droit à la terre. C’est aussi dans cette région que José Antonio Kast a obtenu ses meilleurs scores, avec plus de 40 % des suffrages, au premier tour de l’élection présidentielle. Si la question mapuche n’a pas été au cœur de la campagne électorale, elle s’y est infiltrée à bas bruit, surtout après qu’une universitaire mapuche, Elisa Loncon ait été élue à la présidence de l’Assemblée constituante, qui doit proposer une nouvelle Constitution pour tourner définitivement la page de l’ère Pinochet. C’en était trop pour une bourgeoisie nostalgique de l’ordre militaire, qui nourrit un racisme certain vis-à-vis des peuples indigènes. Un racisme qui s’étend aujourd’hui aux immigrés en provenance du Venezuela ou d’Haïti : voir ICI l’excellent reportage dans Le Monde de Flora Genoux, accompagné de photographies de Cristobal Olivares.


Cette xénophobie ambiante n’explique pas à elle seule le score réalisé par José Antonio Kast au premier tour de l’élection présidentielle. Le profil des 15 élu.e.s du Front Social Chrétien qui vont désormais siéger à la Chambre des députés permet de distinguer un certain nombre de « lignes de force ». Alors que le Congrès vient d’approuver le « mariage égalitaire » (entre personnes du même sexe), il subsiste au Chili une frange catholique extrêmement conservatrice, pour qui les « valeurs morales » ne sauraient reconnaitre les valeurs féministes, encore moins les revendications des personnes LGBT. Cette tendance hyper-conservatrice s’appuie sur une forte présence de l’Opus Dei, « qui cultive le secret à l’extrême », et est considéré comme « un empire » au Chili (Sur l’histoire de l’Opus Dei au Chili et ses implications actuelles, lire ICI).

Issu.e.s des classes moyennes et de la bourgeoisie, ces élu.e.s ont pour beaucoup été formé.e.s au sein de l’Université pontificale (privée), à Santiago ou Valaparaiso. Certain.e.s ont fait leurs premières armes militantes au sein du mouvement grémialiste fondé en 1967 par Jaime Guzmán, dont le rôle a été essentiel dans le coup d’État du 11 septembre 1973 contre Salvador Allende. Sous Pinochet, les Grémialistes vont s’associer pour soutenir la dictature aux jeunes économistes néo-libéraux formés aux États-Unis, ceux qu’on appellera plus tard les « Chicago Boys ».

Jaime Guzmán (à gauche) fut l’un des plus proches collaborateurs de Pinochet.


Ce courant est loin d’avoir disparu au Chili. Il continue notamment de se propager à travers la Fondation Jaime Guzmán, à laquelle sont liés plusieurs des député.e.s du Front Social Chrétien. Avocat, Jaime Guzmán (1944-1991), admirateur du régime franquiste en Espagne, fondateur du Mouvement Patrie et Liberté, adhère très tôt à un mouvement d’extrême-droite. Considéré comme l'« idéologue de la junte » après le coup d’État de 1973, Pinochet, dont il est l’un des plus proches collaborateurs, lui confie l’écriture d’une nouvelle Constitution.

Créée en 1991, reconnue par l’ONU, la Fondation Jaime Guzmán (aujourd’hui présidée par Juan Eduardo Ibáñez Walker, un très influent homme d’affaires qui fut un collaborateur de Guzmán, jouit d’un budget considérable, notamment abondé par certains députés de droite qui lui ont transféré, en 2020, près de 350.000 euros. Officiellement, la Fondation Jaime Guzmán décrit ainsi sa mission : « Former les jeunes sous l’angle d’une une inspiration chrétienne de la société basée sur la finalité transcendante de l'être humain, afin de transformer le Chili selon les principes d'une société libre, juste et responsable. »


Jean-Marc Adolphe


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