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David-Porto Rico contre Goliath-Exxon et consorts

Dernière mise à jour : 29 juil. 2023


Après l'ouragan Maria, à Porto Rico, en 2017. Photo Ricardo Arduengo / AFP


Un soir de jogging, Dieu lui a dit : "mets-les à l'amende". En 2013, l'avocate Missy Sims a obtenu une première victoire contre Exxon qui avait "oublié" de décontaminer un site d'exploitation. Aujourd'hui, elle défend 16 localités porto-ricaines, durement touchées par l'ouragan Maria en 2017, et attaque les géants de l'industrie pétrolière en vertu d'une loi américaine conçue... pour le crime organisé !


« C’est comme l’apocalypse, la fin du monde, la fin des temps », dit Missy Sims déambulant dans le cimetière de Lares (28.000 habitants, à l'ouest de Porto Rico), entourée de tombes saccagées, essuyant une larme en songeant à la douleur des familles endeuillées.

Missy Sims est l'avocate de 16 municipalités portoricaines qui poursuivent l’industrie pétrolière pour les dommages causés par une série de tempêtes, dont le redoutable ouragan Maria, voilà six ans, qui avait fait près de 5.000 morts.


Cette initiative judiciaire originale vise à faire payer les sociétés pétrolières et gazières pour les ravages causés par le changement climatique à Porto Rico. Sa stratégie est suivie de près par l’industrie des combustibles fossiles, les groupes de défense de l’environnement et d’autres avocats et municipalités. Sa poursuite en action collective intentée en novembre dernier s’en prend au gratin de l’industrie pétrogazière : Exxon Mobil, Chevron, Royal Dutch Shell, BP et d’autres encore. Missy Sims allègue que, depuis 1965, ces entreprises ont produit 40 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, tout en complotant pour cacher au public les conséquences désastreuses de leurs actions.


Si cette affaire fait partie d’une nouvelle vague de litiges environnementaux visant les sociétés pétrolières, gazières et charbonnières, elle se distingue par deux aspects importants. C’est la première fois qu’on invoque contre les pétrolières la Loi sur les organisations corrompues et influencées par le racket (RICO, en anglais, mais aussi comme Porto RICO), une loi américaine conçue à l’origine pour réprimer le crime organisé. La poursuite les accuse d’avoir violé la loi RICO en minimisant durant des décennies les effets du réchauffement climatique. Elle expose les pétrolières à des dommages financiers énormes.


C’est aussi la première poursuite en dommages-intérêts pour un évènement météorologique précis. La poursuite de 247 pages invoque des études scientifiques montrant que le réchauffement climatique d’origine humaine a rendu les ouragans de 2017 plus violents, provoquant une intensification rapide de Maria. L’ouragan a tué des milliers de personnes et infligé à Porto Rico des destructions se chiffrant à plus de 100 milliards de dollars. C’est la pire tempête qui ait jamais frappé l’île. Exxon et ConocoPhillips ont refusé de commenter. Dans un communiqué, Shell déclare : « Nous ne pensons pas qu’un tribunal soit le bon endroit pour aborder la question du changement climatique, mais nous pensons qu’une politique intelligente des gouvernements et une action de la part de tous les secteurs sont les moyens appropriés pour trouver des solutions et faire avancer les choses. »


Si les entreprises sont jugées responsables, les dommages pourraient s’élever à des centaines de milliards de dollars, selon des experts juridiques. « C’est pour ça que les entreprises ont peur de ces poursuites », commente Richard Wiles, président du Center for Climate Integrity, un organisme à but non lucratif qui soutient la poursuite de Porto Rico : « Si elles doivent payer pour les dommages qu’elles ont causés, les coûts deviennent vite incontrôlables. »


Missy Sims, avec des élus locaux à Lares. Photo Erin Schaff / The New York Times


Missy Sims, le droit et la foi


Ce n'est pas la première fois qu'Exxon a affaire à Missy Sims. Cette avocate, catholique pratiquante, a débuté sa carrière dans un cabinet d’une petite ville de l’Illinois, dirigé par un avocat municipal chevronné qui commençait chaque journée de travail par une prière. Il n’imposait la prière à personne, dit-elle. « Il disait juste : “Hé, faisons l’œuvre de Dieu aujourd’hui.” »


Missy Sims a appris le code municipal et aidé les municipalités à poursuivre les gens qui ne ramassaient pas les déjections de leurs chiens, qui ne plaçaient pas leurs maisons mobiles sur des fondations ou qui laissaient les mauvaises herbes envahir leurs terrains. Un jour, le maire de DePue, un hameau situé au bord d’un lac dans le nord de l’Illinois, a parlé à Missy Sims d’un problème beaucoup plus grave. Une ancienne usine polluait le village et personne ne voulait la décontaminer.


Le site, une fonderie de zinc, avait fermé ses portes en 1989, laissant plomb, mercure, cyanure et cadmium dans le sol. Lorsqu’il pleuvait, les flaques d’eau devenaient bleu vif à cause des métaux lourds, et les habitants tombaient malades. Ce village de 1600 habitants présentait un des taux de sclérose en plaques les plus élevés du pays, et les habitants soupçonnaient que le taux de cancer élevé était lui aussi lié au site. Après une décennie d’efforts, le village n’avait pas réussi à convaincre Exxon et les autres propriétaires de faire décontaminer le site. « Tout le village était malade », se souvient Missy Sims. « Les gens n’en pouvaient plus de l’inaction des gouvernements et de ces multinationales. »


Déterminée à trouver une solution, la jeune avocate s’est mise au jogging le soir. C’est durant ces longues courses méditatives qu’elle s’est mise à parler à Dieu. « Je m’entends bien avec le Saint-Esprit et je priais : “Aidez-moi. Aidez-moi à aider ces gens.” Et il m’a répondu : “Mets-les à l’amende.” » Le lendemain, elle a présenté l’idée à son patron, qui l’a trouvée bonne. En 2006, Missy Sims a aidé le village à poursuivre Exxon et les autres propriétaires du site en vertu d’un règlement municipal interdisant l’abandon de déchets. Les entreprises ont fait appel et l’action a été d’abord rejetée pour des raisons de procédure. Mais Missy Sims a déposé une plainte modifiée et l’affaire a fait son chemin dans le système judiciaire. Des années de manœuvres procédurales ont suivi et, en 2013, le village a réglé à l’amiable avec Exxon et les autres propriétaires pour près de 1 million de dollars.


Missy Sims s’était déjà attelée à un autre gros dossier. À Roxana, un autre village de l’Illinois, une raffinerie de pétrole avait pollué la nappe phréatique avec du benzène, un agent cancérigène. Les propriétaires, Shell et ConocoPhillips, refusaient de décontaminer. Missy Sims a déposé pour Roxana 230 contraventions contre chaque société pour abandon de détritus en vertu… du Code de la route municipal. Cela a déclenché une cascade de litiges onéreux pour ces deux grandes pétrolières. Là aussi, un règlement à l’amiable a clos l’affaire : en 2017, Shell et ConocoPhillips ont payé près de 5 millions de dollars.


Six ans après l'ouragan Maria, ses stigmates sont toujours visibles à Porto Rico. Photo Erwin Schaff / The New York Times


Missy Sims est aujourd'hui à Caguas, petite ville nichée dans une vallée luxuriante au sud de San Juan, à Porto-Rico, pour expliquer aux élus locaux sont plan d'attaque. À partir des années 1980, affirme-t-elle, des sociétés comme Exxon ont compris que la combustion des hydrocarbures allait rapidement réchauffer la planète et se sont coordonnées dans un effort visant à dissimuler cette information. Elles ont engagé des lobbyistes pour bloquer la réglementation des émissions. Elles ont semé le doute sur les données scientifiques de plus en plus probantes sur le réchauffement climatique.


Elle raconte ainsi que Shell avait produit en 1998 un document interne prédisant qu’une « série de violentes tempêtes » frapperait la côte Est des États-Unis et qu’à la suite de ces tempêtes, il y aurait une « action collective contre le gouvernement américain et les entreprises de combustibles fossiles pour avoir négligé ce que les scientifiques [y compris les leurs] disent depuis des années : il faut faire quelque chose ».


À la fin de la réunion, l’avocate de la Ville, Monica Yvette Vega Conde, a déclaré que, gagnants ou perdants, il était important de porter l’affaire devant les tribunaux : « Nous voulons surtout déclarer que c’est réel, que c’est ici et que ça nous est arrivé. »


Missy Sims s’est ensuite rendue à la ville côtière de Loiza, une des 16 autres municipalités demanderesses. En 2017, l’ouragan Maria avait poussé la mer dans la ville, arraché les toits et détruit les routes. Six ans après, l’hôtel de ville est encore en lambeaux. Des bâches bleues recouvrent le toit et les murs sont lézardés. Elle a fait à la mairesse, Julia María Nazario Fuentes, un compte rendu de l’évolution de l’affaire. Puis la mairesse a conduit l’avocate au bord de l’eau, où se dressent quelques vestiges d’un trottoir qui s’est effondré sous les coups de boutoir des vagues en 2017. Devant les ruines de ce qui était la promenade municipale, la mairesse a indiqué qu’elle en voulait de plus en plus aux entreprises accusées dans la poursuite : « Je les tiens responsables de tout. Les humains doivent être plus responsables et mieux protéger ce que Dieu nous a donné en cadeau. »


Au début de 2024, on saura si sa demande d’action collective contre l’industrie des combustibles fossiles est autorisée et s’il y aura procès. Missy Sims ne s’attend pas à un règlement à l’amiable, vu l’ampleur des accusations. « S’ils règlent pour nous, ils devront régler pour le monde entier », dit-elle.


Mais le dossier de Porto Rico a déjà un impact : la ville de Hoboken, au New Jersey, vient de modifier sa propre poursuite contre de grandes pétrolières, y ajoutant des accusations en vertu de la loi RICO. En juin, des avocats de l’Oregon ont déposé une poursuite contre des firmes de carburants fossiles pour une vague de chaleur en 2021. C’est la seconde poursuite – après celle de Porto Rico – à réclamer des dommages à des firmes pétrolières ou gazières à la suite d’un évènement météorologique déterminé.

Missy Sims se réjouit de ces nouvelles. Elle y voit un autre signe qu’elle fait l’œuvre de Dieu : « Je crois que le Saint-Esprit plaide à mes côtés. Il ne m’a jamais mal conseillée. »


La rédaction des humanités,

à partir d'un article du New York Times


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