Donbass : la russification par césarienne
- Jean-Marc Adolphe

- il y a 14 heures
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Une adolescente ukrainienne, dans une maternité des territoires occupés par la Russie. Photo DR.
Sous la férule du Kremlin, la « passeportisation forcée » s’impose désormais comme un instrument de domination totale dans les territoires ukrainiens occupés. Accès aux soins, à l’école, à l’emploi, à l’aide humanitaire : tout est devenu conditionnel à la détention d’un passeport russe, transformant la vie quotidienne en piège administratif et politique. Et tandis que Moscou prétend « dénazifier » l’Ukraine, des groupes néonazis russes prospèrent ouvertement, affichant leurs crimes et leur idéologie sur les réseaux sociaux en toute impunité.
On appelle ça la "passeportisation forcée". Dans un décret signé en mars dernier (voir ICI), Vladimir Poutine ordonnait aux Ukrainiens vivant dans les territoires occupés d'obtenir un passeport russe ou de « partir » avant le 10 septembre. Depuis l'expiration de ce délai, la vie dans les zones occupées de l'Ukraine est devenue beaucoup plus difficile pour ceux qui n'ont pas daigné respecter cette consigne. Les autorités d'occupation empêchent toute personne ne possédant pas de passeport russe de consulter un médecin, d'envoyer ses enfants à l'école, de trouver un emploi, de percevoir une pension ou de recevoir une aide humanitaire. Le 22 octobre dernier, le service russe de la BBC (que Donald Trump veut réduire au silence : sur ordre de Poutine ?) a publié un reportage sur les premières conséquences de cette russification à marche forcée (ICI). « Au départ », explique Alena Luneva, directrice du plaidoyer du Centre des droits de l'homme ZMINA, « la Russie a créé des conditions facilitant l'obtention d'un passeport russe pour les habitants de certaines régions. Mais comme il n'y avait pas de file d'attente pour les obtenir, ils ont commencé à agir de manière coercitive. Peu à peu, les Russes ont commencé à restreindre les domaines de la vie dans les territoires occupés où l'on pouvait se passer d'un passeport russe ».
Pour appliquer le décret du Tsar, les chiens de garde de la dictature poutinienne ont fait preuve d'une inventivité sans bornes. Dernière exemple en date : celui d'Olga (le prénom a été changé), une adolescente ukrainienne de 16 ans, qui était en train d'accoucher. L'accouchement s'avère compliqué, et sans césarienne, la vie de la jeune mère est en danger. Sauf que pour pratiquer la césarienne en question, les médecins (russes) de l'hôpital exigent que la jeune fezmme signe d'abord une demande de passeport russe. « Elle a accepté à contrecœur », a confié devant le Sénat américain, le 3 décembre dernier, Mykola Kuleba, fondateur de l'ONG Save Ukraine, que l'on n'a encore jamais pris en flagrant délit de fake news.

Photo de Yan Petrovsky, membre du groupe paramilitaire Rusich, faisant le salut nazi, publiée par le groupe d'investigation ukrainien Molfar.
Voilà les méthodes utilisées par le régime de Poutine pour « dénazifier l'Ukraine ». Pendant ce temps, en Russie même d'authentiques nazillons prospèrent sans le moindre risque d'être inquiétés. France 24 a ainsi mené l'enquête sur Rusich, un groupe de mercenaires russes ouvertement néonazis qui met en scène ses crimes de guerre sur Telegram (ICI). Le mois dernier, cette milice a été jusqu'à lancer un « concours » récompensant en cryptomonnaie les photos de prisonniers ukrainiens exécutés. Le 26 novembre 2024, le compte Telegram de Rusich avait ainsi publié l'image d'une tête coupée avec une main coupée enfoncée dans la bouche... Cette propagande macabre, mêlant exécutions, mutilations et trophées macabres, vise autant à terroriser l’ennemi qu’à souder une communauté d’ultranationalistes fascinés par la violence.
Né en 2014 dans le Donbass, Rusich s’est illustré en Ukraine, en Syrie et en Libye, en lien étroit avec la milice Wagner et les mercenaires de Redut, un groupe paramilitaire qui opère avec la bénédiction du renseignement militaire russe (GRU), avec des missions de reconnaissance, sabotage et opérations derrière les lignes ukrainiennes. Ses combattants revendiquent ouvertement une identité néonazie, affichant des références SS et de mythologie raciale indo-européenne, au cœur d’un imaginaire suprémaciste partagé avec d’autres extrêmes droites européennes. Figure centrale du groupe, Alexeï Milchakov se présente lui‑même comme nazi, a appelé à l’extermination des Ukrainiens et est accusé d’atrocités documentées dès 2014, tandis que d’autres membres de Rusich ont été jugés, comme Yan Petrovsky, arrêté en Finlande en juillet 2023 et condamné à la prison à vie pour crimes de guerre commis dans l'est de l'Ukraine en 2014. Pour la chercheuse Candace Rondeaux, politologue américaine et spécialiste des conflits armés, basée à l’Arizona State University, cette esthétique de l’horreur s’inscrit dans une stratégie de guerre psychologique destinée à convaincre que le Kremlin et ses supplétifs peuvent agir en toute impunité, au moment même où des scénarios de compromis de paix risquent de laisser de côté la question des réparations et des poursuites pour crimes russes.
Jean-Marc Adolphe
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