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En Chine, la Gen K ?

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Trente-six ans après Tian’anmen, les enfants des émeutiers ne semblent pas prêts à un nouveau soulèvement, mais la colère gronde ailleurs. L’entrée en vigueur du visa K, qui ouvre la Chine aux talents étrangers des sciences et technologies, a déclenché une vague d’indignation sur Weibo : comment accueillir des diplômés étrangers quand la jeunesse chinoise subit un chômage record ? Entre ambitions mondiales et frustrations nationales, la dictature de Xi Jinping marche sur des œufs.


Les enfants des émeutiers de Tian’anmen (en 1989, il y a 36 ans) sont-ils dans les starting-blocks pour un nouveau soulèvement ? Et dans la foulée du mouvement Gen Z à Madagascar et au Maroc (après le Népal et l’Indonésie), un mouvement « Gen K » va-t-il venir ébranler l’Empire du Milieu ? On n’en est encore sans doute pas là, et dans la dictature de Xi Jinping et des dispositifs de surveillance qu’elle a déployés, toute contestation aura du mal à s’exprimer dans rue : pour l’heure, c’est sur le réseau social Weibo que la grogne se manifeste. Et il y a au moins un point commun avec Madagascar et le Maroc : la difficulté pour la jeunesse, notamment diplômée, à trouver du boulot. Et si on parle ici de « Gen K » (une invention des humanités), c’est en faisant allusion au visa K, destiné aux professionnels étrangers des sciences et des technologies, leur permettant d’entrer en Chine sans parrainage d’employeur, qui vient d’entrer en vigueur, le 1er octobre : un contraste frappant avec les politiques d’immigration restrictives décidées par Trump aux États-Unis

 

Quelques heures après le lancement de ce visa K, des hashtags ont commencé à devenir viraux sur la plateforme Weibo en Chine, générant des dizaines de millions de vues et des réactions majoritairement négatives, les jeunes chinois exprimant leur colère face à la décision du gouvernement d’accueillir des talents internationaux alors que la jeunesse locale est confrontée à des taux de chômage record.

 

La montée des réactions négatives révèle de profondes frustrations

 

« Une fois la boîte de Pandore ouverte, cela entraînera des problèmes sans fin. La Chine n’a pas besoin de ces étudiants diplômés ! Les visas K sont complètement inutiles ! », écrit un utilisateur de Weibo. Ce sentiment reflète une anxiété plus large parmi les jeunes diplômés chinois, qui font face à un taux d’emploi de seulement 55,5 %, selon un rapport 2024 de la plateforme de recrutement Zhaopin.


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 Des étudiants étrangers découvrent la plateforme Modena lors de leur visite à l'usine Xiaomi Auto Super Factory,

le 30 juin 2025 à Pékin, en Chine. Photo Wang Ziru / China News Service


Les utilisateurs des réseaux sociaux chinois se sont particulièrement inquiétés de l’éventuel désavantage subi par les diplômés locaux à cause de ce programme. « Pourquoi les jeunes en Chine ayant une licence ont-ils du mal à trouver un bon travail et sont-ils forcés de poursuivre des études de master, alors que les titulaires étrangers d’une licence sont considérés comme des 'talents technologiques' ? » s’interroge un commentateur. Certains messages contenaient des sous-entendus nationalistes et xénophobes, un utilisateur écrivant : « Autant lever le drapeau indien », anticipant un afflux de professionnels indiens suite à la répression par Trump des visas H-1B.

 

L’intensité des critiques a poussé les médias officiels chinois à lancer une campagne de défense. Le Quotidien du Peuple a publié un éditorial qualifiant les inquiétudes concernant une immigration excessive de « trompeuses » et « à courte vue ». Hu Xijin, ancien rédacteur en chef du Global Times, a souligné que les étrangers ne constituent que 0,1 % de la population chinoise, contre 15 % aux États-Unis.

 

Le lancement du visa K survient quelques semaines seulement après que Trump a imposé des frais de dossier de 100 000 dollars pour les nouveaux visas H-1B. Le choix du timing semble calculé pour positionner la Chine comme une alternative accueillante alors que les États-Unis restreignent l’accès aux travailleurs étrangers qualifiés. Contrairement au programme H-1B, qui nécessite un parrainage d’employeur et fonctionne sur la base d’un système de loterie annuel limité à 85 000 visas, en Chine le visa K permet l’entrée sans offre d’emploi et offre une plus grande flexibilité pour les entrées multiples et les séjours prolongés. Le programme vise les diplômés âgés de 18 à 45 ans disposant au minimum d’une licence dans les domaines des sciences et technologies obtenue dans des universités reconnues.

 

« Le symbole est puissant : alors que les États-Unis érigent des barrières, la Chine les abaisse », a déclaré à Reuters Matt Mauntel-Medici, avocat en immigration basé dans l’Iowa. La stratégie de Pékin reflète son effort plus large pour rivaliser avec les États-Unis dans les technologies de pointe, y compris les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle et la biotechnologie. Mais le contrecoup domestique souligne le défi auquel Pékin doit faire face pour équilibrer ses ambitions mondiales avec la montée du nationalisme et de l’anxiété économique dans le pays, où le chômage des jeunes a atteint 18,9 % en août—le niveau le plus élevé depuis le début de la collecte de données en 2023.

 

Dominique Vernis

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