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En compagnies. Chroniques d'Avignon #02



Pour les humanités, Stéphane Verrue chronique l'édition 2023 du festival d'Avignon, in et off. Un avis forcément subjectif sur des propositions artistiques glanées dans le foisonnement de la programmation. Cette seconde chronique propose quelques recommandations de spectacles vus au cours de la saison écoulée et repris cet été.


« Il y a entre toi et moi

un infini de paysages de ciel et de vent

mais je ne cesse d’aller sur le seuil et de te guetter. »


Un décor de ruine, vestige d’une vie passée. Un quartet piano-batterie-violoncelle-chant (Antoine Chartier, Charlie Giezek, Timothée Couteau, et Stéphane Titelein) qui déclare son amour pour l’être aimé.

Qui est-il ? Un mari, une sœur, un père, un enfant ? Une chose est sûre : il est parti et laisse derrière lui un vide inextinguible. Plus de meuble, plus de tableau, plus de rire, seulement des souvenirs auxquels se raccrocher. Entre vitre cassée et feuilles mortes, on pressent dans l’air l’odeur de la terre et du thé chaud, la douceur du miel et l’âcreté du papier, le souffle d’une tempête et les chuchotements nocturnes des enfants sous les draps.


Une vie de fiançailles - extrait du spectacle "J'aurais préféré que nous fassions obscurité ensemble" par la compagnie Franche Connexion.


J’aurais préféré que nous fassions obscurité ensemble est adapté d'un recueil éponyme de poèmes de Claire Audhuy, écrit après l’attentat du 13 novembre 2015 au Bataclan. « On ne sait jamais par qui les textes qu’on écrit seront lus », dit Claire Audhuy. Ici, sur scène, avec la compagnie Franche Connexion, Stéphane Titelein, à la fois délicat et poignant, porte cette voix de chagrin et de blessure, oscillant entre la tristesse et l’acceptation, s’enveloppant de poésie comme dernier havre d'apaisement.


Le spectacle est joué les jours impairs. A la même adresse, les jours pairs, on retrouve la compagnie Franche Connexion avec un seul en scène du même Stéphane Titelein, D’Eckmühl à Eckmühl. Ce texte qu'il a lui-même écrit relie deux géographies, d'un phare breton, Eckmühl, à un quartier d'Oran qui porte le même nom : l’histoire improbable de sa propre famille. Celle d'une grand-mère sortant de sa roulotte de bohémienne pour prendre un bateau, quitter la Bretagne pour l’Algérie. La naissance du père de l’auteur. La confession d’une grand-mère à son petit fils de 50 ans, un secret révélé, un monde de certitude qui s’effondre. L’urgence de voyager, de dégager le sable, de remettre en mémoire, de retrouver la trace. Retrouver cette jeune fille dans cette France d’outre mer, sa rencontre avec le grand-père, le père de son père…. À moins que, à moins que… Secret de famille enfin révélé.


Dans une scénographie d’une très grande poésie, nous suivons la quête, l’en-quête de ce fils, tenus en haleine par un comédien d’une infinie justesse.


- La compagnie Franche Connexion est installée dans le Pas-de-Calais, à Montigny-en-Gohelle, où elle est liée au Théâtre L’École Buissonnière et à son rapport à l’Éducation Populaire. http://www.francheconnexion.fr


- Au festival d'Avignon, à L'Adresse, 2 avenue de la Trillade : J’aurais préféré que nous fassions obscurité ensemble, les jours impairs, à 16 h ; et D’Eckmühl à Eckmühl, les jours pairs, également à 16 h.


Urgence à dire

Nawar Bulbul et l'exil, sur grand braquet. Photo DR


« La scène est le meilleur endroit pour crier la vérité et la beauté », dit Nawar Bulbul, fabuleux acteur syrien exilé en France. Dans Égalité, produit par la compagnie Scène Manassa, Nawar Bulbul donne chair à un dialogue fictif entre le sociologue-anthropologue Michel Seurat, enlevé et assassiné à Beyrouth en 2005, et son élève syrien, Omar, cycliste invétéré et demandeur d'asile hors du commun. Face à la barbarie du régime syrien, mais aussi la mansuétude à son égard de la "communauté internationale", Égalité est porté par une « urgence à dire » qui n’oublie cependant pas, entre comique et tragique, de vivifier toutes les ressources du jeu théâtral. Un spectacle nécessaire, rare et bouleversant, déjà chroniqué l’an passé sur les humanités : https://www.leshumanites-media.com/post/le-th%C3%A9%C3%A2tre-par-del%C3%A0-la-barbarie


- Égalité, de et par Nawar Bulbul, au Théâtre de la Bourse du Travail CGT, 8 rue Campane, à 17 h, jusqu'au 29 juillet (relâche le 24).


La détestation du monde, et son amour

Maîtres anciens, comédie est l'un des derniers textes de Thomas Bernhard. Depuis plus de trente-six ans, Reger, musicologue de renom et véritable « détestateur » du monde, fréquente le Musée d’art ancien de Vienne où il s’assied, un matin sur deux, sur la banquette de la salle Bordone pour contempler L’Homme à la barbe blanche du Tintoret (métaphore de la vieillesse et de la mort ?). Pourquoi ? Nous l’apprendrons plus tard… Là, il déverse toute sa bile sur la fatuité des auto-proclamés spécialistes de l’art, les insupportables défauts des prétendus chefs d’œuvre, tant en musique qu’en peinture, le mauvais goût généralisé, la corruption des politiciens véreux et la bêtise incommensurable de ses compatriotes autrichiens, en résumé : tous les thèmes récurrents de l’auteur.

Oui, sans aucun doute, Reger est un double de Thomas Bernhard.


Dans la mise en scène de Gerold Schumann, qui dirige la compagnie Théâtre de la Vallée, à Ecouen, dans le Val d'Oise, François Clavier, seul sur scène, est infiniment poignant. Il connaît bien "son Bernhard" (il a joué le rôle principal dans Le Faiseur de théâtre il y a quelques saisons). Il est assis, face à nous. Ses yeux bleu acier nous transpercent, comme prolongeant les diatribes sulfureuses de Reger.


Cela pourrait être lassant. Ce ne l’est pas une seconde. D’une part, Clavier est exceptionnel. D’autre part, Bernhard ne s’arrête pas à cette cataracte de misanthropie extrême. Pourquoi ce rituel de plus de trente ans ? Reger nous explique que c’est dans cette salle, devant ce tableau, qu’il a rencontré l’unique amour de sa vie, décédée accidentellement suite à une vilaine chute.


Le récit se termine par une sorte de réconciliation extrêmement touchante et inattendue entre Reger et ses semblables : « Je déteste les hommes, mais ils sont en même temps mon unique raison de vivre ».


- Compagnie Théâtre de la Vallée : https://www.theatredelavallee.fr


- Maîtres anciens, avec François Clavier, adaptation et mise en scène de Gerold Schumann, au Théâtre Artéphile, 5bis-7 rue Bourg Neuf, à 18 h 20, jusqu'au 26 juillet.


Drôleries


Albert Meslay. Photo DR


Albert Meslay, on le suit depuis des décennies et on en reste persuadé, il est un de nos plus grands humoristes («fantaisiste» comme il dit parfois, avec justesse et humilité). Avec lui, l’humour est toujours à double détente. Est-il acteur ? D’année en année, son jeu s’affine dans d'imperceptibles détails . Il n’est pas toujours d’accord avec ce qu’il pense, phrase qui prête à rire mais qui concerne directement l’art de l’acteur.


- Je n’aime pas rire, ça me rappelle trop le boulot, de et par Albert Meslay, au Théâtre de la Bourse du Travail – CGT, 8 rue Campane, à 19 h, jusqu'au 29 juillet (relâche le 24).


Et enfin (pour aujourd'hui), un petit (dé)tour par Offenbach. Il y a quelques années, nous avions été emballés par L’Île de Tulipatan, un ouvrage peu connu qui parle de… genre !, mis en scène par Guillaume Nozach, formé au Conservatoire National de Région de Grenoble. Aujourd'hui, même compositeur, même équipe avec Coscoletto, un opéra-bouffe en deux actes, sans doute moins "politique", mais qui est un pur bijou de divertissement vif et intelligent. Scénographie très inventive, costumes parfaits. Sur scène ils sont 7 (plus 2 musiciens). Ça chante très bien, ça joue très bien et c’est d’une drôlerie extraordinaire (jamais vu de pièce avec tant de quiproquos !). Le finale est une sorte de bacchanale qui achève de ravir le public. Un pur régal, une vraie folie.


- Coscoletto, de Jacques Offenbach, mise en scène de Guillaume Nozach, au Théâtre des Gémeaux, 10 Rue du Vieux Sextier, à 18 h 25, jusqu'au 29 juillet (relâche le 26).


Stéphane Verrue

Photo en tête d'article : Avignon, 7 juillet 2023. La traditionnelle parade du Off. Photo AFP


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