Japon : et si l'empereur était une impératrice ?
- La rédaction

- il y a 4 jours
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La princesse Aiko photographiée à l’entrée d’un temple lors de sa visite d’une journée à Luang Prabang,
l'ancienne capitale royale du Laos. Photo : Jiji Press Pool
Au Japon, la popularité grandissante de la princesse Aiko ravive le débat sur une succession impériale réservée aux hommes. À l’heure où la jeune femme séduit par son sérieux et sa proximité, une large majorité de Japonais voit en elle le symbole d’une monarchie enfin capable d’évoluer. Entre tradition verrouillée et aspirations à l’égalité de genre, sa trajectoire cristallise un enjeu politique majeur : celui de savoir si l’Empire du Soleil-Levant est prêt à reconnaître, au sommet même de l’État, la légitimité du pouvoir féminin.
La montée en popularité de la princesse Aiko, fille unique de l’empereur Naruhito et de l’impératrice Masako, relance au Japon le débat sur la loi de succession qui réserve le trône aux seuls hommes de la lignée patrilinéaire. À l’approche de ses 24 ans, la jeune femme, appréciée pour sa simplicité et son sérieux lors de ses engagements officiels, cristallise les attentes d’une opinion publique largement favorable à l’accession des femmes au trône, alors même que la classe politique reste bloquée.
Au fil de ses apparitions, notamment depuis qu’elle effectue des engagements en solo à l’étranger, comme à l’occasion d’un récent voyage de six jours au Laos, en novembre 2025, pour marquer les 70 ans de relations diplomatiques entre les deux pays, Aiko est devenue le visage d’une monarchie que beaucoup aimeraient voir sortir des vieilleries de la tradition impériale, et s’envoler vers l’égalité de genre. Des militants, intellectuels et figures médiatiques se mobilisent désormais explicitement pour que la jeune princesse puisse succéder à son père : campagnes sur les réseaux sociaux, envois de brochures aux parlementaires et organisation de débats publics mettent la pression sur les élus.
Cette poussée en faveur d’une impératrice intervient dans un contexte démographique critique pour la maison impériale, qui ne compte plus qu’un seul héritier masculin dans la jeune génération, le prince Hisahito, victime à son tour de l’énorme pression dynastique. Les experts alertent sur le risque d’extinction d’une institution vieille de plus d’un millénaire si l’interdiction faite aux femmes de monter sur le trône n’est pas levée, tandis que les conservateurs, eux, brandissent la défense de la tradition pour bloquer toute réforme.
Les règles de succession au Japon

Ci-contre : Utagawa Kuniyoshi, L’impératrice Jingū,
Estampe / Musée des arts et des métiers de Hambourg.
Huit femmes ont occupé le trône du Chrysanthème, entre le VIIᵉ et le XVIIIᵉ siècle, dans des contextes presque toujours marqués par des crises de succession masculine. Ce précédent historique est aujourd’hui largement mobilisé par les partisans d’une réforme de la loi de succession, qui rappellent que la présence d’une femme sur le trône n’a rien d’une rupture dans la longue histoire impériale japonaise. Jingū, régente du IIIᵉ siècle, est encore aujourd’hui comptée par les sources populaires parmi les souveraines fondatrices du pays.
La loi actuelle de la maison impériale date de 1947 et réserve strictement la succession aux seuls descendants masculins de la lignée patrilinéaire de l’empereur Meiji, excluant les femmes et interdisant l’adoption, ce qui a fortement réduit le vivier d’héritiers. Cette règle prolonge un tournant pris à la fin du XIXᵉ siècle : sous l’ère Meiji, dans un contexte de modernisation sur modèle prussien, les femmes ont été explicitement bannies de la succession alors même que, dans l’histoire, huit impératrices avaient déjà régné, sans toutefois fonder de nouvelle lignée.
L’empereur du Japon n’a aujourd’hui plus aucun pouvoir politique réel : il est un chef d’État purement symbolique, défini par la Constitution comme « symbole de l’État et de l’unité du peuple ». Depuis la Constitution de 1947, la souveraineté appartient entièrement au peuple et l’empereur n’exerce « que les fonctions prévues » par ce texte, « sans pouvoirs de gouvernement ».
Depuis le début des années 2000, la combinaison de cette loi restrictive et de la pénurie de garçons au sein de la famille impériale alimente une controverse récurrente, avec plusieurs commissions d’experts et projets avortés visant à ouvrir le trône aux femmes ou à leurs descendants. Cette crise latente explique pourquoi la popularité de la princesse Aiko redonne aujourd’hui une actualité brûlante à la question d’une réforme permettant, au minimum, le retour d’une impératrice régnante.
Selon des sondages récents, une large majorité de Japonais se déclarent favorables à la possibilité d’une impératrice, et beaucoup disent explicitement souhaiter voir Aiko devenir un jour cheffe de l’État. Au-delà de la seule question dynastique, ses partisans y voient un test décisif pour la place des femmes dans la société japonaise : l’éventuelle désignation de la princesse comme héritière serait, pour eux, un signal politique fort en faveur de l’égalité, bien au‑delà des grilles du palais impérial.
Qui sait : un jour, peut-être pas très loin, le soleil se lèvera sur le front d'une impératrice.
La rédaction des humanités





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