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Quand Trump transforme un laboratoire climatique en champ de bataille

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Karmen Monigold, membre de "Protect the Kobuk", un groupe de défense de l'Arctique nord-ouest,

à Kotzebue, en Alaska, le 4 octobre 2025. Photo Annika Hammerschlag / AP


Alors que l’Arctique bascule vers un nouveau régime climatique, la Maison Blanche en fait un terrain d’expansion militaro‑industrielle, mêlant pressions sur le Groenland, forages massifs en Alaska et mise au pas de la recherche. Entre ambitions de domination maritime et ruée vers les hydrocarbures, la région la plus sensible du globe se retrouve au cœur d’un projet trumpiste qui privilégie la puissance et la rente pétrolière au détriment des alertes scientifiques et des droits des peuples autochtones.


La Maison Blanche accélère la militarisation et la mise en marché de l’Arctique au moment précis où la région bascule vers un nouveau régime climatique, combinant risques géopolitiques et menaces systémiques pour la planète.17-decembre-breve-Arctique.


Depuis son retour au pouvoir, Donald Trump a fait de l’Arctique un atout stratégique central, en particulier le Groenland et l’Alaska. Washington multiplie les gestes de puissance : nouveaux brise‑glaces, déplacements de haut niveau – notamment celui du vice‑président JD Vance au Groenland en mars – et pressions directes sur Copenhague pour accroître l’influence américaine sur ce territoire danois recouvert en grande partie par une calotte glaciaire. Les services de renseignement militaires danois ont publiquement exprimé leurs inquiétudes face à cette offensive, signe d’un net refroidissement avec un allié historique.



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Ci-contre : Tom Dans, nommé par Donald Trump à la tête de la United States Arctic Research Commission, une agence fédérale indépendante qui conseille la Maison Blanche et le Congrès sur les priorités de recherche dans l’Arctique. Investisseur et conseiller républicain, Tom Dans a déjà été commissaire de cette même commission et conseiller au Trésor pendant le premier mandat Trump. Il est aussi le fondateur d’« American Daybreak », un groupe d’influence pro‑Trump très actif au Groenland, et un proche des réseaux liés au projet conservateur « Project 2025 ». Sa nomination rompt avec la tradition de confier ce poste à des scientifiques ou diplomates, au profit d’un allié politique et financier de Trump.


Cette stratégie s’accompagne d’un tournant institutionnel avec la nomination, lundi dernier, de Tom Dans à la tête de la Commission américaine de recherche arctique. Proche du président, il a joué un rôle clé dans les opérations de séduction et de pression autour du Groenland, et n’est autre que le frère de Paul Dans, architecte du très idéologique « Projet 2025 », programme de reconfiguration radicale de l’appareil d’État au profit de la droite trumpiste. La science arctique, jadis présentée comme un bien commun, se retrouve ainsi placée sous la tutelle d’acteurs engagés dans une entreprise de remilitarisation du gouvernement fédéral.


En Alaska, la Maison Blanche déroule en parallèle un agenda d’extraction tous azimuts. L’administration a annoncé un vaste plan ouvrant près de 1,3 milliard d’acres d’eaux côtières américaines à de nouveaux forages pétroliers et gaziers, y compris dans une zone isolée au large du nord de l’Arctique où aucune exploitation n’a encore eu lieu. Un décret présidentiel a aussi ordonné la construction d’une route industrielle de plus de 300 kilomètres pour desservir un projet de mine de cuivre et de zinc, au prix du morcellement de l’une des dernières grandes étendues sauvages de l’Alaska.


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Des bois de caribou reposent sur les rives de la rivière Kobuk à Onion Portage, près d'Ambler, en Alaska, où les caribous migraient traditionnellement à la fin de l'été, mais n'étaient pas encore arrivés, fin septembre 2025. Photo Annika Hammerschlag / AP


Ce volontarisme se heurte toutefois à une résistance économique, juridique et sociale. Une vente aux enchères pour les droits de forage dans la réserve naturelle nationale de l’Arctique n’a attiré aucun acheteur, les grandes banques américaines refusant de financer des opérations dans cette zone protégée. Des organisations écologistes contestent devant les tribunaux les nouveaux projets de ConocoPhillips, déjà engagée dans le gigantesque projet Willow de 8 milliards de dollars sur le versant nord de l’Alaska, au nom des risques climatiques et des atteintes aux territoires autochtones.


Pendant que Washington parie sur la rente pétrolière à long terme, l’Arctique envoie pourtant des signaux d’alarme de plus en plus nets. Un récent « bulletin de santé » de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) documente des températures et précipitations record, l’accélération de la fonte du pergélisol et le lessivage de métaux lourds toxiques – issus notamment de gisements de pyrite – qui transforment des rivières d’Alaska en eaux chargées d’oxydes orangés. La toundra, longtemps puits de carbone, relâche désormais des gaz à effet de serre, tandis que la fonte des glaciers terrestres et marins et l’afflux d’eau douce dans l’Atlantique Nord font planer la menace d’une perturbation des grands courants océaniques, avec des répercussions climatiques mondiales.


Cette divergence entre urgence scientifique et priorité donnée aux intérêts stratégiques se lit aussi dans les textes officiels. Au printemps, un comité gouvernemental a réécrit un document de planification hérité de l’ère Biden pour « l’aligner sur les politiques de l’administration actuelle », faisant disparaître toute mention du changement climatique alors qu’il structurait depuis des décennies la coopération en Arctique. Dans un décret d’avril, Donald Trump fixe désormais comme horizon à l’action fédérale de « restaurer la domination maritime américaine » dans l’Arctique, actant le glissement d’une région laboratoire du dérèglement climatique vers un nouveau front de compétition de puissance.


Dominique Vernis


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