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Pas d'Oscar pour Poutine (la fabrique pénitentiaire du Kremlin)


Déjà primé à Londres, un film-enquête sur l'empoisonnement d'Alexeï Navalny, issu d'une remarquable investigation de Bellingat, vient de recevoir l'Oscar du meilleur documentaire. En même temps s'ouvre à Moscou le procès d'un autre opposant majeur au régime de Poutine, Vladimir Kara-Murza, dont l'issue ne fait guère de doute. Et voici quelques jours, là aussi au terme d'un simulacre de procès, le journaliste ukrainien et militant des droits de l'homme Maksym Butkevych, abondamment présenté comme "nazi" par la propagande du Kremlin, a été condamné à 13 ans de prison. Dans une bien surprenante indifférence occidentale...


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Hier soir à Los Angeles, L’Oscar du meilleur documentaire a été décerné à Navalny, film réalisé par le Canadien Daniel Roher, qui relate les événements liés à l’empoisonnement de l’opposant russe emprisonné. L’enquête décrit l’ascension politique d’Alexeï Navalny, la tentative d’assassinat à laquelle il a difficilement survécu et son emprisonnement qui a suivi.


Produit par HBO Max et CNN Films, Navalny avait été présenté en avant-première le 25 janvier 2022 au Festival du film de Sundance. Le prix du meilleur documentaire lui avait également été décerné en février 2023 aux British Academy Film and Television Awards à Londres.


Les autorités britanniques avaient toutefois interdit la présence lors de la remise des prix, pour des « raisons de sécurité », du journaliste d’investigation bulgare Christo Grozev, qui a créé le site Bellingcat, à l’origine des révélations sur la tentative d’assassinat-empoisonnement d’Alexeï Navalny.


« «Et il y a quelqu'un qui n'a pas pu être des nôtres ce soir: Alexeï Navalny, le chef de l'opposition russe, reste en détention à l'isolement», a déclaré Daniel Roher en recevant la statuette des Oscars. Très bien… Mais il y avait un autre absent. Christo Grozev (à qui l’on doit également la plupart des révélations sur les agissements du groupe Auchan en Russie) était bien présent à Los Angeles, mais à ma connaissance, son nom n’a pas été cité une seule fois sur la scène du Théâtre Dolby, ni davantage dans la presse qui, ce matin, relate la cérémonie des Oscars. Un seul film « pèse » sans doute beaucoup plus que des dizaines d’articles. Tant mieux pour "l’oscarisation" du documentaire Navalny. Dommage pour le journalisme d’investigation (en 2019, Christo Grozev et son équipe de Bellingcat avaient toutefois remporté le Prix européen de la presse pour le reportage d'investigation pour "Unmasking the Salisbury Poisoning Suspects: A Four-Part Investigation" (Démasquer les suspects de l'empoisonnement de Salisbury : une enquête en quatre parties).

Le journaliste Christo Grozev, créateur du site Bellingcat, à l’origine des révélations sur l’empoisonnement d’Alexeï Navalny


Sur Twitter, Christo Grozev se réjouit quand même, avec une pensée pour son père, décédé avant d’avoir pu voir le film : « Mon père ne vivait que pour voir ce film gagner. (...) Tragiquement, mon père n'a pas vécu pour voir cette victoire. Mais il reste présent dans nos mémoires. »


Navalny, Journal de prison


Desk Russie continue de publier le journal de prison d’Alexeï Navalny. A la date du 20 février, à la veille de la date-anniversaire de l’invasion russe en Ukraine, il formule les « 15 points d’un citoyen russe soucieux du bien de son pays ». « La Russie est un vaste pays dont la population diminue et la province s’éteint », écrit-il notamment. « L’impérialisme et le désir de conquêtes territoriales sont la voie la plus nuisible et la plus destructrice. Une fois de plus, le pouvoir russe détruit notre avenir de ses propres mains afin que notre pays ait l’air plus grand sur la carte. (…) De cette guerre nous hériterons un écheveau de problèmes complexes et, à première vue, quasi insolubles. Il importe de décider pour soi si l’on veut vraiment les résoudre, avant de commencer à le faire honnêtement et en toute transparence. Comprendre qu’il est bon, voire très bénéfique, pour la Russie et son peuple de mettre fin à la guerre dès que possible est la clé du succès : c’est le seul moyen de s’acheminer vers la levée des sanctions, le retour de ceux qui sont partis, le regain de confiance des entreprises et la croissance économique. »

Lilia Tchanycheva


Et le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, il rend hommage à Lilia Tchanycheva, ex-coordonnatrice régionale du « Quartier général de Navalny », dans la ville d’Oufa. Elle est détenue depuis le 9 novembre 2021 sur la base de charges infondées de « création ou direction d’une association extrémiste ».

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Lilia Tchanycheva ne fait pas les gros titres de la presse française. Le 30 janvier dernier, un tribunal de Moscou a encore décidé de prolonger sa détention provisoire. Elle encourt jusqu’à 18 ans de prison.


> A lire : « Navalny, journal de prison », sur Desk Russie.


Vladimir Kara-Murza à Moscou le 27 février 2021. Photo Alexander Zemlianichenko / Keystone


Vladimir Kara-Murza, un procès en forme de vengeance

Lui aussi a été victime de deux tentatives d’empoisonnement, qui ont altéré sa santé (à 41 ans, il souffre désormais de polynévrite, qui insensibilise ses membres inférieurs). Un autre opposant russe, Vladimir Kara-Murza, est sous les feux de l’actualité judiciaire et carcérale. C’est « un homme de courage et de conviction, pour qui les droits humains et la dignité doivent primer sur la peur. Ses efforts déterminés et inlassables ont permis de propager ces valeurs en Russie. Cependant, son combat pour cette juste cause lui a valu de perdre lui-même la liberté », écrivait Marie Struthers, directrice du programme Europe de l’Est et Asie centrale à Amnesty International, en octobre dernier (ICI). « Il est le plus remarquable, le plus structuré de tous [les opposants russes] », ajoute l’essayiste et politologue Nicolas Tenzer, co-fondateur de Desk Russie.


En avril 2022, Vladimir Kara-Murza a été arrêté pour avoir diffusé de "fausses informations" sur les activités de l’armée russe en Ukraine. En cause : une interview accordée à CNN dans laquelle il qualifiait le pouvoir russe de « régime de meurtriers ».

En juillet, il a également été inculpé de « conduite des activités d’une organisation indésirable » en raison de ses activités présumées au sein de Open Russia et de la Fondation Russie libre, deux ONG considérées comme « indésirables » par les autorités russes. Le 6 octobre, enfin, les autorités russes ont inculpé Vladimir Kara-Murza de « haute trahison » pour avoir « coopéré avec un pays de l’OTAN ».


Ce lundi 13 mars, son procès s’ouvre à Moscou. « Ça devrait aller vite », prédit son épouse, Evguénia Kara-Murza, dont les propos ont été recueillis par le Journal du Dimanche. Les débats devraient se dérouler à huis clos. « Le pouvoir ne veut pas qu'il lui serve de tribune », poursuit-elle. Et l'un des trois juges qui vont décider de son sort, placé sous sanctions américaines (pour avoir fait mourir en prison, en 2009, l’avocat Sergueï Magnitsky, figure de la lutte anti-corruption), a un compte à régler avec lui. « Ce procès va se résumer à une vengeance », conclut Evguenia Kara-Murza, aujourd’hui exilée. Depuis 11 mois, ni elle ni leurs trois enfants n’ont été autorisés à lui parler au téléphone…

Maksym Butkevych, au micro de Hromadske Radio


Le journaliste ukrainien et militant des droits de l'homme Maksym Butkevych, un anti-fasciste "nazi" (aux yeux du Kremlin)


Pour clore le ban, une autre condamnation, largement ignorée par les médias français : le 10 mars dernier, avec deux autres inculpés, Viktor Pohozei et Vladyslav Shel, Maksym Butkevych a été condamné à 13 ans de prison, reconnu coupable de « crimes de guerre ». Un « simulacre de procès » pour Amnesty International (ICI), et une sentence prononcée par un pseudo-tribunal des "républiques populaires" du Donbass (annexées par Moscou).


En Ukraine, Maksym Butkevych est une icône de la défense des droits de l’homme. Co-fondateur de la très active ONG ZMINA Human Rights Center, et de Hromadske Radio où il a travaillé comme journaliste en 2013 et 2014, il a aussi collaboré avec la BBC World Service et plusieurs chaînes de télévision nationales ukrainiennes. Il a également été à l’initiative du “No Borders Project” qui a pour objectif d’aider les demandeurs d’asile et les migrants internes en Ukraine, association engagée contre toutes les formes de racisme et contre l’utilisation de discours haineux dans les médias et au sein du discours public. Il a en outre travaillé auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en Ukraine, en Moldavie et en Biélorussie en tant qu’adjoint régional chargé de l’information publique.


Actif défenseur de la tolérance, profondément pacifiste, Maksym Butkevych s’était pourtant porté volontaire, en mars 2022, pour rejoindre les forces armées ukrainiennes. « Il y a des moments où il faut être prêt à défendre ce qui est important », avait-il déclaré à l’époque. Entre le 21 et le 24 juin, l’armée russe l’a capturé dans la région du Louhansk avec 13 autres militaires de son peloton.


Pour la Russie, les « droits de l’homme » sont une invention du Troisième Reich : c’est sans doute à cette aune qu’il faut comprendre le tombereau d’articles qu’a déversé la propagande du Kremlin pour présenter Maksym Butkevych comme un militant "nazi", comme l’avait révélé en août dernier The Kyiv Independant. « C'est orwellien », déclarait notamment l’une de ses étudiantes, Yevheniia Polshchykova, citée par le New York Times. « Ils prennent un antifasciste, un défenseur des droits de l'homme, et le traitent de nazi ! »


On est sidéré qu’à ce jour, l’annonce de la condamnation de Maksym Butkevych, n’ait quasiment provoqué aucune réaction en France, alors qu’en juillet dernier, plusieurs appels avaient été lancés pour exiger sa libération (voir ICI). La presse préfère se délecter du dernier pet de travers d’Evgueni Prigojine (Le Figaro, l’Obs, TF1, BFM, etc.). Le patron de la milice Wagner, qui se fâchait voici deux jours que le Kremlin ne communique plus avec lui, vient d’annoncer qu’il avait décidé de se présenter en 2024 à l’élection présidentielle… ukrainienne. Évidemment, il voulait dire « russe », mais c’est une façon de ne pas franchir la ligne rouge, et de faire pression pour que Poutine rétablisse la ligne téléphonique.


Une déclaration d’opérette, en somme ("l’opérette militaire spéciale"), et l’opérette, c’est parfois comique. Mais le sort de Maksym Butkevych, c’est quand même plus important, non ?


Jean-Marc Adolphe


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