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Robert Lebel, l'horloge du refus et de la légèreté


Critique d'art, essayiste, poète, collectionneur, Robert Lebel écrivit entre autres le premier essai fondamental sur Marcel Duchamp. L'Atelier contemporain édite un recueil de textes qui manifestent un refus de capituler devant les platitudes de l’existence en recherchant, dans la vie même, des occasions d’aventures.


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« Quel genre de type est ce Robert Lebel ? Je n’arrive pas vraiment à le saisir… » C’est ce qu’aurait confié Marcel Duchamp à Jacques Lacan. Critique d’art, expert en peinture ancienne pour l’Hôtel des ventes Drouot, électron libre du surréalisme, premier historiographe de son ami Marcel Duchamp, Robert Lebel était aussi poète. Le mystérieux personnage qu’il fut a laissé quelques traces, dont divers poèmes et récits aux accents fantastiques. C’est à cartographier cette part littéraire de sa production écrite que s’attache le deuxième volume de ses œuvres complètes. Dans le sillage du premier volume paru au Mamco de Genève en 2016, Le Surréalisme comme essuie-glace, 1943-1984, et dans l’attente de deux futurs volumes à paraître à L’Atelier contemporain, l’un, consacré à ses critiques d’art, l’autre, à ses écrits sur Marcel Duchamp, il s’agit de retracer la cohérence d’une œuvre discrète et prolixe.


Ce volume, à l’image de la poésie de Robert Lebel, est placé sous le signe d’une énigmatique troisième horloge, détournant le cours de la temporalité sociale, mais subrepticement et invisiblement : « C’est à l’intérieur même du temps social, et non à l’écart, ce qui déjà serait édifiant, que nous créerons, sans nécessairement le laisser entendre, des zones de refus et de légèreté ». Autrement dit, écrire implique de renoncer à toute posture grandiloquente, en retrait, installée, pour renouer avec le domaine du murmure, de l’inutile, du secret…


En exergue des livres de Robert Lebel, on pouvait lire qu’il « consacre la partie avouable de son temps à l’étude des peintres anciens et à la lecture des poètes modernes », sans que rien ne soit dit de ce à quoi il consacre la partie inavouable et nocturne de son temps… On sait, cependant, que le mystérieux personnage qu’il fut consacrait une assez grande partie de son temps à écrire : des textes théoriques et critiques sur la peinture et la poésie, mais aussi des poèmes surréalistes et des récits fantastiques.


Pour Robert Lebel, l’écriture poétique et sa gratuité vertigineuse se placent sous le signe d’une fascinante « troisième horloge », décrite dans son récit L’inventeur du temps gratuit. Le narrateur de cette histoire troublante, déambulant dans un quartier new-yorkais désert, pénètre par hasard dans les bureaux de "A. Loride and Company", du nom d’un homme excentrique qui aurait inventé le « temps gratuit », temps qui ne peut se gagner ni se perdre, qui passe sans qu’on puisse en faire usage ni en dire rien d’arrêté.


À en croire ce dernier, il existerait trois horloges. Une première horloge, "exacte ", celle du temps social qui régit l’humanité affairée. Une deuxième horloge, "déréglée", celle du temps vide qui tourmente quelques solitaires. Et, enfin, une très étrange "troisième horloge", détournant le cours de la temporalité sociale, mais subrepticement et invisiblement : « C’est à l’intérieur même du temps social, et non à l’écart, ce qui déjà serait édifiant, que nous créerons, sans nécessairement le laisser entendre, des zones de refus et de légèreté. » Dès lors, écrire implique de refuser toute posture littéraire grandiloquente, en retrait, installée, pour renouer avec le domaine du murmure, de l’inutile, du secret.


À propos de son récit La Double vue, François Di Dio (son premier éditeur au Soleil noir) notait : « ce récit se lit comme un “suspens”, le documentaire y côtoie l’humour, il donne à penser comme un essai, se déroule comme un film, explore de très près “l’ineffable”, et se laisse regarder comme un tableau. »


L’ensemble des écrits de création de Robert Lebel manifeste qu’il s’est essayé à diverses formes : composition en vers, récit, pseudotraité, autobiographie. Son refus d’insister dans une quelconque voie signale, pour l’écriture, le même principe d’économie et d’ironie mis en pratique par Duchamp dans le domaine des arts dits visuels. L'ambition de l’écrivain Robert Lebel relève sans doute de la poésie, entendue plus largement à la manière surréaliste, comme un refus de capituler devant les platitudes de l’existence en recherchant, dans la vie même, des occasions d’aventures, dont l’écriture peut rendre compte, en adoptant des formes en elles-mêmes variées.


Illustration en tête d'article : Robert Lebel, portrait par Pierre Klossowski, 1955


Robert Lebel, La Troisième horloge, L'Atelier contemporain, mai 2023, 432 pages, 25 €. Édition établie et présentée par Jérôme Duwa. À l’ensemble des poèmes et récits sont ajoutés des articles critiques (sur Michel Fardoulis-Lagrange ou Gherasim Luca, par exemple). Sont publiés, en annexe, un entretien de l’auteur avec Nicole Zand, des témoignages de Alain Fleischer, Pierre Klossowski, Joyce Mansour et Patrick Waldberg.



Robert Lebel est né à Paris en 1901, et mort, à Paris également, en 1986. Il fut critique et collectionneur d’art, écrivain, poète. Proche du surréalisme, sans en être cependant un fidèle, il fréquenta André Breton durant son exil à New York entre 1940 et 1944, mais aussi Marcel Duchamp, Max Ernst, Isabelle et Patrick Waldberg. Il publia notamment : Masque à lame (Hémisphères, 1943), Léonard de Vinci ou la fin de l’humilité (Le Soleil Noir, 1952), La double vue avec des illustrations d’Alberto Giacometti et Marcel Duchamp (Le Soleil Noir, 1964), L’Oiseau-caramel et La Saint-Charlemagne avec des illustrations de Max Ernst (Le Soleil Noir, 1969 et 1976), Sur Marcel Duchamp (Belfond, 1985).



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