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Zingaro, Lautréamont et gamelan javanais

Dernière mise à jour : 18 oct.

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Photo Sacha Goldberger


Avec son dernier opus, Les Cantiques du corbeau, Bartabas signe un "récit fantasmagorique". Tournant le dos au spectaculaire, le fondateur de Zingaro affirme « un geste plastique plus que chorégraphique » où les tableaux se succèdent au rythme des tambours, des gongs et des métallophones d'un gamelan javanais.


Le livre de Bartabas Les Cantiques du corbeau publié par Gallimard en 2022 est désormais un livret de spectacle, celui du Théâtre Zingaro, au titre éponyme, créé mi-octobre au « vaisseau » du fort d’Aubervilliers, au moment où il sort en poche chez Folio.

 

Dans le beau programme illustré par le photographe Sacha Goldberger, Bartabas qualifie son nouvel opus de « récit fantasmagorique des origines de l’humanité. » Cette suite de vingt-deux chants (plus un, qu’est son introduction) occupe la « place centrale » du spectacle scénique. Les textes dits par cœur par des artistes du théâtre alternent avec les musiques du groupe Pantcha Indra, un gamelan de neuf musiciens jouant le répertoire javanais et balinais – référence artaldienne oblige –, les tours de manège de chevaux ayant pour noms Famine, Guerre, Misère, Maestro, Tsar, Bruant Chouca, Hypolaïs et Ibis, montés par des cavaliers masqués et les tableaux – plus que des numéros circassiens proprement dits – illustrant les chants.

 

Tandis que nous prenons place autour d’une table où nous est offert vin chaud et biscuits, côté cour des gradins surplombant la piste vouée ce jour aux non-exploits, défile plus bas, sur le ring la bornant, en sens antihoraire, un cavalier solitaire à tête de corbeau. Sans doute s’agit-il de Bartabas en personne, si l’on peut dire, s’agissant, tout au moins en apparence, d’une créature mi-homme, mi-bête. Une silhouette étrange et inquiétante, sortie, dirait-on, de Judex (1963), film mystérieux de Georges Franju dans lequel le cofondateur de la Cinémathèque française rendait hommage aux serials des années 1910 de Louis Feuillade et aussi, probablement, à la série de collages surréalistes de Max Ernst Une semaine de bonté (1934).

 

Bartabas reconnaît pour sa part avoir été influencé par Lautréamont, déjà invoqué / évoqué dans son spectacle Le Centaure et l’animal (2010). Celui-ci est structuré en douze cantiques ou poèmes en prose – au lieu des six composant Les Chants de Maldoror (1869). Le corbeau de Bartabas fait bien également songer à celui d’Edgar Poe, The Raven (1845) poème fantastique qui fut traduit en français par Baudelaire en 1853. De la poésie noire, Bartabas fait usage dans une écriture maîtrisée et précieuse, comme dans sa pièce plongée délibérément dans la quasi pénombre. L’aspect horrifique et sanguinolent de la lutte pour la vie du narrateur et de la narratrice ou de la survie d’espèces de toutes sortes, n’a rien de grandguignolesque. Pas plus que le spectacle ne contient de gag ou de second degré.


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 Photo Sacha Goldberger


La danse balinaise exécutée par Kadek Puspasari en deuxième partie de soirée est l’exception de la règle que s’est imposée Bartabas en proposant la vision « d’un geste plastique plus que chorégraphique ». Tableaux et sculptures se succèdent au rythme des tambours, des gongs, des métallophones. Hormis la variation de Legong, les gestes gelés prennent le pas, si l’on peut dire, sur les mouvements. Par intermittence, l’écoulement est coupé par les déclamations des comédiens et les entrées et sorties des écuyères et écuyers citant parfois des extraits de pièces passées.

 

Bartabas a voulu produite « sans artifices technologiques, un véritable voyage intérieur gardé par l’écoute exigeante des mots et de la musique. » Ce dos tourné au spectaculaire, plus qu’au spectacle lui-même, l’auteur l’assume volontiers, quitte à désarçonner son public d’habitués. Celui-ci applaudit au terme d’une séquence pensant la pièce achevée. Celle-ci ne se conclut pas par la lumineuse intervention de la dompteuse de feu, l’étincelante Lara Castiglioni, mais des mots de la main de l’auteur. L’ultime phrase du livre est la suivante : « Au crépuscule, irradié de douceur, j’ai su bien mourir en prenant tout mon temps. »


Nicolas Villodre


  • Le Cantique des corbeaux, au Théâtre Zingaro à Aubervilliers, jusqu'au 31 décembre 2025.

    www.zingaro.fr

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