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21 décembre. A 16 heures 3 minutes et 1 seconde, il est solstice, docteur Schweitzer

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Une formation rocheuse recouverte de glace se reflète dans les eaux de l'île Pleneau

en Antarctique, le 24 novembre 2025. Photo Mark Baker / AP


Premier jour de l’hiver astronomique, minute exacte à l’appui, ce solstice‑là ne se contente pas de faire basculer la lumière : il interroge aussi nos mythologies du progrès et d'avant le progrès, avec vue sur pôles et petite contribution post-mortem de Kurt Tucholsky.


 J-11 : DONS DÉFISCALISABLES JUSQU'AU 31/12/2025  

Compte à rebours : Il nous reste 11 jours pour espérer réunir d'ici le 31 décembre 4.000 € -un chiffre rond-, de façon a améliorer le site et son référencement et pouvoir salarier un.e premier.e journaliste, conditions exigées pour pouvoir espérer (enfin !) de possibles aides publiques en 2026. On se rapproche, mais pas encore au bout du bout : depuis le lancement de cette campagne (le 31 octobre), quarante-six donateurs, 2.920 €.

Pour mémoire, nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Jusqu'au 31/12/2025, les dons sont défiscalisables (à hauteur de 66% du montant du don). Un don de 25 € ne revient ainsi qu'à 8,50 € (17 € pour un don de 50 €, 34 € pour un don de 100 €, 85 € pour un don de 250 €). Dons ou abonnements ICI


 L'IMAGE DU JOUR


En tête de publication : Dans l'Antarctique, Glaciers qui se fissurent, icebergs bleutés, colonies de manchots serrées sur une banquise qui se réduit composent un paysage fragile, où la beauté spectaculaire du continent masque mal la menace existentielle que font peser la hausse des températures et la fonte accélérée de la glace (Photoreportage ICI).


Voilà pour le pôle Sud. Au pôle Nord, ce n'est guère mieux. Alors que l’Arctique bascule vers un nouveau régime climatique, la Maison Blanche en fait un terrain d’expansion militaro‑industrielle, mêlant pressions sur le Groenland, forages massifs en Alaska et mise au pas de la recherche. Entre ambitions de domination maritime et ruée vers les hydrocarbures, la région la plus sensible du globe se retrouve au cœur d’un projet trumpiste qui privilégie la puissance et la rente pétrolière au détriment des alertes scientifiques et des droits des peuples autochtones (Lire ICI).


 LA CITATION DU JOUR


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Mort il il y a tout juste 90 ans, le 21 décembre 1935, Kurt Tucholsky, né en 1890 à Berlin dans une famille juive, fut l’un des esprits les plus acérés de la République de Weimar, journaliste, satiriste, auteur de cabaret et chroniqueur politique. Juriste de formation, marqué par la Première Guerre mondiale, il devient un antimilitariste radical, multipliant les attaques contre l’armée, la justice et le bourgeois satisfait. Sous ses pseudonymes – Peter Panter, Theobald Tiger, Ignaz Wrobel, Kaspar Hauser – il publie des milliers de textes dans Die Weltbühne, mêlant ironie, lyrisme et désespoir politique. Démocrate de gauche, socialiste et pacifiste, il voit monter le national‑socialisme qu’il dénonce tôt, avant de partir en exil, d’abord à Paris puis en Suède, où ses livres sont bientôt brûlés et sa citoyenneté allemande révoquée. Épuisé, isolé, il meurt en 1935 près de Göteborg après une surdose de somnifères, dans une zone grise entre suicide et accident. Sa formule restée célèbre – « un pays se reconnaît à la façon dont il traite ses écrivains » – semble résonner avec sa propre trajectoire brisée, et fait de lui une conscience blessée de l’Allemagne du XXe siècle.


Voilà ce qu'aurait pu écrire aujourd'hui Kurt Tucholsky des temps présents :


Kurt Tucholsky — “Lettre trouvée dans les décombres du bon sens”


« Le monde n’a pas changé, seulement le maquillage : la haine porte aujourd’hui un costard slim, elle se coiffe à la télévision et grimpe dans les sondages comme jadis sur les tanks. La vieille rengaine « c’est la faute des autres » connaît un remix global — et tout le monde danse dessus, du Texas à Turin. Les électeurs d’hier brandissaient les poings ; ceux d’aujourd’hui brandissent leur smartphone pour cliquer sur la colère.

On aurait pu croire que le siècle dernier avait vacciné l’humanité contre la peste du fanatisme. Mais non : la mémoire, parait-il, a la durée d’un tweet. Les tyrans ricanent à nouveau, coiffés de pétrole, de médias et de mythologies nationales. L’un joue les tsars en bombardant ses voisins ; l’autre, colosse orange aux pieds de mèmes, transforme la politique en télé-réalité. À regarder ce carnaval de puissants, on se demande si l’Histoire a jamais eu un script différent.


Pendant ce temps, la planète brûle — non pas comme métaphore, mais littéralement. Et pour l’éteindre, on convoque des sommets climatiques où les discours émettent plus de carbone que les avions qui y amènent les délégués. La glace fond, mais la bêtise, elle, reste solide.


Il resterait l’humour, peut-être, comme dernier refuge des cœurs clairvoyants. Rire pour ne pas mourir de chagrin, écrire pour ne pas hurler. Pourtant, je crains qu’un jour, la satire elle-même fonde : que reste-t-il à exagérer quand le réel s’en charge ? On appelait cela autrefois l’absurde ; aujourd’hui, c’est la une du journal.


Alors, une seule consigne pour survivre aux monstres modernes : penser haut, rire clair, et refuser la peur comme nouvelle langue officielle. Tant qu’il reste un mot juste, une plaisanterie bien placée, il y aura encore un peu de résistance entre les lignes. »


Kurt Tucholsky, 21 décembre 2025

(pour copie conforme, Tzotzil Trema pour les humanités)


 ÉPHÉMÉRIDE


Solstice d’hiver : une virgule dans le mouvement 


21 décembre : solstice d’hiver, « jour le plus court de l’année » dans l’hémisphère Nord… et, symétriquement, « jour le plus long » dans l’hémisphère Sud, où l’on célèbre le solstice d’été. Plus on monte vers le Nord, plus le jour s'amenuise jusqu’à disparaître totalement au-delà du cercle polaire, où le soleil ne se lève plus : c’est la nuit polaire.


Nuit polaire à Tromsø (Norvège) en 2008.


Le solstice, pourtant, ne dure pas un jour mais un instant, une pointe infinitésimale dans un mouvement qui ne s’arrête jamais. Selon l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides (IMCCE) de l’Observatoire de Paris, le solstice d’hiver 2025 aura lieu le dimanche 21 décembre à 16 h 03 min 01 s heure de Paris, soit 7 h 03 à Los Angeles, 10 h 03 à Montréal, 12 h 03 à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, 17 h 03 à Kyiv, 20 h 03 à Oulan‑Bator, 22 h 03 à Saïgon, 23 h 03 à Taïwan, et 0 h 03 à Tokyo. Même instant pour tous, pas la même heure, ni la même lumière.


Rites de la lumière qui revient


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Solstice d'hiver à Stonehenge, en Écosse. Le 21 décembre 2025, le soleil devrait se lever à 8h06, s'alignant parfaitement

au centre des plus hautes pierres de Stonehenge. Le 21 décembre 2025, le soleil devrait se lever à 8h06,

s'alignant parfaitement au centre des plus hautes pierres de Stonehenge.


Depuis des millénaires, le passage du solstice se grave dans la pierre, notamment à Stonehenge, où l’alignement mégalithique cadre le soleil levant au solstice d’été et couchant au solstice d’hiver, véritable observatoire saisonnier et calendrier agricole monumental.


Chez les Romains, les Saturnales, dédiées à Saturne, dieu du temps et de l’agriculture, ouvraient la période des semailles d’hiver : beuveries joyeuses, suspension momentanée de l’ordre social, échange de petits cadeaux, maisons ornées de branches de conifères et de gui, symbole de vie éternelle, d’amour et de paix


De ces fêtes du solstice à Noël, la filiation saute aux yeux : décorations de conifères devenues couronnes de Noël puis de l’Avent, tradition du sapin, bougies et lumières pour conjurer la nuit la plus longue. Au cœur de l’hiver, tout se joue déjà autour de la même intuition : entourer de signes de vie le moment où la lumière touche plus bas que l’horizon, pour mieux annoncer son rebond.


Yaldâ, Tôji : veiller la nuit, apprivoiser le froid 


Le 21 décembre, la nuit de Shab‑e Yaldâ (Yaldâ signifiant "naissance") est toujours célébrée par Iraniens et Afghans. Héritière de l’ancien culte de Mithra, figure solaire de lumière et de bonté, cette nuit marque le passage à l’hiver en rassemblant famille et amis autour de fruits rouge vif (grenades, pastèques) et de noix, présages de bonne année quand elles se révèlent bien pleines.

 

Le rouge y symbolise l’aube et le soleil qui revient, les fruits secs gardent la mémoire de l’été et luttent contre les mauvais esprits, tandis que le moment clé est la lecture du Divân de Hafez : chacun fait un vœu en silence, ouvre le recueil au hasard, lit le poème à haute voix, et l’assemblée interprète l’oracle pour guider l’année à venir. Depuis 2022, Shab‑e Yaldâ est inscrite sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO (voir ICI).


À l’autre bout de l’Asie, le 21 décembre est au Japon le jour de Tôji (冬至, « solstice d’hiver »), dédié à la douceur et au renouveau. Dans la vision traditionnelle du yin et du yang, Tôji marque le moment où le yin commence à céder la place au yang, comme une remise à zéro que l’on accompagne par des rituels qui réchauffent bains parfumés, plats réconfortants, soirées dans les auberges des stations thermales.



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Bain yuzu à Tamagawa Onsen, une station thermale isolée du nord du Japon,

réputée pour la puissance et les propriétés particulières de ses eaux.


Partout dans l’archipel, on fait alors flotter des yuzus entiers (agrume asiatique très parfumé, proche d’un petit pamplemousse, avec un goût entre citron vert, mandarine et pamplemousse) dans l’eau du bain, à la maison, dans les sentō urbains ou les onsen de montagne : leur écorce embaume la vapeur et offre une sensation revigorante. On mange aussi les « aliments un » – ces ingrédients dont le nom se termine par le son n, homophone d’un mot signifiant « fortune » –, comme le renkon (racine de lotus), le ninjin (carotte), le daikon (radis blanc) ou le kinkan (kumquat), tandis que la couleur rouge éloigne les mauvais esprits. Message simple : « mangez chaud, mangez bien, emportez un peu de douceur avec vous pour les mois les plus froids ».


Solstice : la Terre de Husserl, celle de Galilée 

 

Ces haltes rituelles, de ripaille ou de rêverie, sont aussi l’envers sensible d’une réalité que l’astronomie décrit avec une précision implacable. Or, à strictement parler, le solstice ne devrait pas s’appeler « solstice » : le mot vient de sol (le Soleil) et de status, participe passé de stare, « s’arrêter », autrement dit « Soleil arrêté » dans son mouvement.

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Or Copernic, Galilée, Newton ont successivement démontré l’héliocentrisme, selon lequel c’est la Terre qui tourne autour du Soleil, renversant le point de vue de ce vocabulaire hérité de l’observation immédiate. Galilée, devenu figure légendaire avec son « Eppur si muove » – « Et pourtant, elle tourne » – fut condamné par le Tribunal de l’Inquisition et n’échappa à la prison qu’en abjurant, sa peine étant commuée en assignation à résidence.


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Au XXᵉ siècle, le philosophe Edmund Husserl ose pourtant écrire : « La Terre ne se meut pas », renouant avec ce que dit le mot « solstice » et ce que notre perception nous donne à voir dans la course apparente du soleil. D’un côté, le factuel et le scientifique ; de l’autre, le sensible : en tournant autour du Soleil, la Terre rythme le cœur de notre vie et le cycle du vivant, mais c’est bien notre manière d’habiter ce rythme – notre sensibilité, notre désir de comprendre – qui donne sens à ces jours de fête comme aux autres jours.


Quand le temps laisse son manteau 

 

Pour dire ce basculement, il reste enfin la poésie. Il y a environ six cents ans, Charles d’Orléans écrivait : « Le temps a laissé son manteau / De vent, de froidure et de pluie… ». Prisonnier vingt‑cinq ans après Azincourt, il tissait ballades, rondeaux et rondels comme on allume des chandelles dans la nuit la plus longue.


En ce 21 décembre, rien n’interdit d’emprunter sa formule à rebours : le temps revêt son manteau de vent, de froidure et de pluie, mais déjà se prépare, au fond des nuits polaires comme dans les bains aux yuzus, le moment où il le déposera à nouveau. Entre la Terre qui tourne et celle qui « ne se meut pas », le solstice nous laisse exactement là : à la lisière de la science, du mythe et du désir de lumière.


Isabelle Favre


Une chanson de circonstance : Le Soleil et la Lune (auteur-compositeur-interprète : Charles Trenet), enregistrée pour la première fois en 1939, que nous vous offrons ici interprétée par Camille et Jacques Higelin pour les 50 ans de France Inter, en 2014, à la Gaîté Lyrique à Paris. Une séquence d'anthologie déjantée !





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