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Dans la nuit du 18 au 19 février 2022 : les premières déportations

Dernière mise à jour : 28 févr. 2023


Il manquait les images, les voici. La chaîne indépendante russe Dojd vient d'exhumer un reportage de la télévision de Donetsk, qui prouve que les déportations d’enfants ont commencé avant-même l’invasion du 24 février 2022. D’autres images, tournées plus récemment, montrent comment la Russie soigne le "syndrome post-traumatique" des enfants du Donbass, une fois ceux-ci "russifiés" et adoptés. Et d’autres mensonges de la propagande russe, encore : tricherie sur l’âge des enfants afin de les envoyer en "camp de rééducation", "orphelins" qui ont des parents encore vivants, etc.. Samedi dernier à Paris, Oleksandra Matviichuk, directrice du Centre pour les libertés civiles, prix Nobel de la Paix 2022 a rappelé que « le comportement russe dans les territoires occupés, avec les attaques contre l’identité ukrainienne et la déportation d’enfants afin de les "russifier", prouve l’intention génocidaire. »


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Jeudi 23 février 2023, à la veille du premier anniversaire de l’invasion militaire russe en Ukraine, Maria Lvova-Belova est tout sourire. Ce jour-là, elle a choisi de poser dans le Donbass occupé, en compagnie de quatre "protecteurs des enfants" : quatre militaires au visage cagoulé (photo en tête d'article). C’est la réponse de la Russie à ceux qui dénoncent les déportations d’enfants et le qualifient de crime de génocide. "Allez vous faire foutre", telle en substance la réponse qu’affiche Maria Lvova-Belova ce jour-là, décrété en 2002 par Poutine "Jour du défenseur de la patrie" dans la continuité de ce qui s’appelait jadis le jour de l'Armée rouge (День Красной Армии).

« Nous remercions nos ancêtres héroïques pour leur caractère, leur sagesse et leur expérience historique », écrit Lvova-Belova sur son compte Telegram. (…) « Ensemble, nous résisterons, nous résisterons et nous préserverons notre terre natale ». Cette seule expression de « terre natale » vaut à elle seule adhésion sans réserve aux pires idéologues de la "désukranisation" qui entourent Poutine et dont le Führer du Kremlin a choisi de se faire l’exécuteur des basses-œuvres : l’Ukraine n’existe pas, c’est une invention occidentale, et la "Petite Russie", comme ils disent, n’aurait jamais dû s’affranchir du joug de l’Empire. En elle-même, cette logique est génocidaire, et l’invasion commencée le 24 février 2022 avait pour but de parachever une conquête commencée dès 2014 avec l’annexion de la Crimée puis la volonté d’occuper le Donbass.

Évacuation par bus d'enfants d'un internat de Donetsk, dans la nuit du 18 au 19 février 2022 (capture d'écran Oplot TV)


Comme les humanités l’ont déjà révélé, les déportations d’enfants du Donbass ont commencé avant même le 24 février 2022 et le début de l’invasion russe. Il manquait la preuve par l’image, la voici. La chaîne indépendante russe Dojd (aujourd'hui délocalisée à Amsterdam après avoir d'abord trouvé refuge à Riga, lire ICI) a retrouvé une séquence filmée par la télévision "officielle" de la "république populaire" de Donetsk, Oplot TV (créée en 2014). Les images ont été tournées dans la nuit du 18 au 19 février 2022. 400 enfants de l'orphelinat Teremok de Donetsk ont été évacués par bus, et transférés à Rostov, en Russie (rappelons qu’en Ukraine, les enfants accueillis dans des orphelinats peuvent être orphelins, mais aussi temporairement « privés de soins parentaux »).

Dans la séquence ci-dessous, on entend des adultes, dont un militaire, dire : « Nous n'avons pas envie de quitter notre maison, mais il le faut. Nous reviendrons bientôt. Nous partons en excursion ». On sait à présent que ce fut une excursion sans retour. Tous ces enfants ont été "russifiés". Certains ont été adoptés. La Russie ne donne aucune information sur leur sort. Comme disait Marie Lvova-Belova, la commissaire chargée par Poutine d’organiser ces déportations d’enfants : « Maintenant , ils sont à nous ».

Donetsk, nuit du 18 au 19 février 2022 : 400 enfants sont évacués d'un orphelinat


En bonne Samaritaine, Maria Lvova-Belova prétend se soucier au plus au haut point de la santé mentale des enfants du Donbass, lesquels auraient été soumis, selon la doxa du Kremlin, à des bombardements incessants depuis 2014, par les méchants nazis ukrainiens. Ces enfants, s’inquiète-t-elle, souffrent de « syndrome post-traumatique ». Mais leur "rééducation" passe par une adhésion aux valeurs patriotiques russes, qui impliquent une militarisation croissante de la société russe, y compris des plus jeunes, comme on l’a vu dans une récente publication (ICI).

Une séquence du reportage de Dojd TV montre trois de ces enfants du Donbass, que leurs parents adoptifs ont cru judicieux d’amener à un "festival patriotique de reconstitution historique" (vidéo ci-dessous). La réaction des enfants est pour le moins éloquente, le plus jeune est terrorisé. « N'aie pas peur », dit la mère, « c'est une reconstitution. » La psychologie russe a visiblement des progrès à faire.

Le reportage de Dojd apporte d’autres informations intéressantes. Ainsi, Maria Lova-Belova affirme que le processus d’adoption est soigneusement préparé, que les enfants « choisissent » leurs parents d’adoption après des rencontres vidéo. « C'est la première fois que j'entends ça, vous me l'apprenez », répond Stanislav Tokouchev, un père adoptif. Même mensonge concernant les « formations » que les familles d’accueil sont censées recevoir avant d’adopter.


Il y a, enfin, ce couple de Novosibirsk, en Sibérie, qui avait déjà été interviewé par BFM. Là, ils avouent savoir que les enfants qu’ils ont adoptés ne sont pas orphelins, qu’ils ont une mère (laquelle a été déchue de ses droits parentaux). Ça ne les émeut pas plus que cela. « En vivant dans une famille, ils vont vite tout oublier », lâchent-ils…

Vol de bébés à Kherson, en novembre 2022 (capture d'écran)


Pour aider les enfants à « oublier » leur origine, tous les moyens sont bons. On savait déjà qu’au moment de leur adoption, leur nom véritable est changé, ainsi que leur date de naissance. De nouvelles révélations viennent d’être apportées par la juriste Kateryna Rashevska, du Centre régional pour les droits de l’homme. Cela concerne les enfants (notamment de la région de Kherson) qui ont été emmenés en Crimée pour de soi-disant "colonies de vacances", dont ils ne sont, pour la plupart, jamais revenus. Afin de les diriger ensuite vers des "camps de rééducation" (lire notre précédente enquête), l’accord parental était théoriquement nécessaire pour les plus jeunes (soustraits à leurs familles, ces enfants ne sont évidemment pas orphelins). Pour contourner cet obstacle, les Russes trafiquent purement et simplement l’état civil des enfants, et les vieillissent d’un ou deux ans, selon Kateryna Rashevska : « Je ne peux pas affirmer que cette pratique soit systématique, mais nous avons déjà identifié plusieurs cas précis… (ICI, en anglais)

Ania Vilenska (à gauche), militante de l’association Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre !,

et l’avocate ukrainienne Oleksandra Matviichuk, directrice du Centre pour les libertés civiles, prix Nobel de la Paix 2022,

samedi 25 février 2023 à Paris, à l’issue de la Marche pour l’Ukraine.


Samedi 25 février à Paris, à l’issue de la marche pour l’Ukraine, une invitée surprise est montée à la tribune dressée place de la Bastille : l’avocate ukrainienne Oleksandra Matviichuk, directrice du Centre pour les libertés civiles, prix Nobel de la Paix 2022. Un peu plus tôt, elle avait accordé un entretien au Monde : « Il y a eu un crime d’agression, l’invasion injustifiée de l’Ukraine par la Russie. Au regard du droit, c’est un crime international. Or, il ne peut actuellement être jugé ni par la CPI ni par les tribunaux ukrainiens. C’est pourquoi nous souhaitons la création d’un tribunal spécial chargé de juger [Vladimir] Poutine. Pour l’Ukraine, mais aussi pour d’autres nations. Face à ceux qui agressent des pays, dans le sang, au XXIe siècle, il faut un tribunal sur le crime d’agression. Sinon, que devient le monde ? (…) Le crime de génocide – le crime des crimes – est très difficile à prouver devant une cour. Il faut démontrer l’intention de destruction totale ou partielle d’un groupe humain, démontrer qu’une politique délibérée est à l’œuvre. Certains experts pensent que les preuves existent, d’autres qu’il faut poursuivre les enquêtes. Pour moi, le comportement russe dans les territoires occupés, avec les attaques contre l’identité ukrainienne et la déportation d’enfants afin de les "russifier", prouve l’intention génocidaire. Il suffit par ailleurs d’écouter les propagandistes de la télévision russe : ils répètent, chaque jour, que les Ukrainiens doivent être soit russifiés, soit tués. »


Dans un nouveau train de sanctions adopté le 24 février par l’Union européenne, figurent 121 entités et individus, parmi lesquels des personnes liées à la milice Wagner de Prigojine, mais aussi, selon le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, « les responsables de la déportation et l’adoption forcée d’au moins 6.000 enfants ukrainiens ». La liste devait être publiée samedi soir au Journal officiel de l’Union européenne. A l’heure où ces lignes sont écrites, seuls sont mentionnés des noms liés à Wagner. Le 12 décembre dernier, les humanités avaient publié une première liste (non exhaustive) de personnalités impliquées dans ce monstrueux trafic d’enfants (ICI)…


Jean-Marc Adolphe


Retranscriptions et traductions pour les humanités du reportage de Dojd TV : Pascale Massicot (Professeur de russe). Pour voir ce reportage en entier (en russe, non sous-titré) : https://youtu.be/k5DmFRhQmic


Dès le 25 février 2022, les humanités ont manifesté leur soutien à l'Ukraine, et nous n'avons cessé depuis lors, dans la mesure de nos moyens, d'apporter des éclairages originaux sur certains aspects de cette guerre. Nous avons ainsi été les premiers à révéler, puis largement documenter, le crime de génocide que représentent les déportations d'enfants.

Entièrement gratuit et sans publicité ni aides publiques, édité par une association, le site des humanités entend pourtant fureter, révéler, déficher, offrir à ses lectrices et lecteurs une information buissonnière, hors des sentiers battus.

Il y a encore du pain sur la planche, il ne reste plus qu’à faire lever la pâte. Concrètement : pouvoir étoffer la rédaction, rémunérer des auteurs, et investir dans quelques outils de développement…

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