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Du Rwanda à Gaza : génocides ?

Dernière mise à jour : 25 avr.



Des Palestiniens marchent à travers les ruines laissées par l'offensive aérienne et terrestre israélienne près de Khan Younis,

dans le sud de la bande de Gaza. Photo Ismael Abu Dayyah / AP


 CHRONIQUE. MICHEL STRULOVICI  Trente après les massacres qui firent au moins 800.000 morts, le Rwanda commémore le génocide des Tutsi. Peut-on parler à l'égal de "génocide" concernant l'offensive israélienne dans la bande de Gaza ? Qu'est-ce qui caractérise un génocide ? L'émotion devant les drames (légitime, quand elle n'est pas instrumentalisée) l'emporte souvent sur le nécessaire travail de réflexion sur l'histoire et la nature des événements...


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« César envoie des messagers aux peuples voisins, excite chez eux l'espoir du butin et appelle tout le monde au pillage […], il voulait qu'en punition d'un tel forfait cette grande invasion anéantît la race des Éburons et leur nom même. »

Jules César, La Guerre des Gaules, VI.

 

Nous vivons une époque où, souvent, trop souvent, le désir de convaincre entraîne à réduire notre pensée à un slogan, parfois même à un mot qui clôt tout débat. "Génocide" est de ceux-là. Son utilisation à tout propos et hors de propos, dénature le sens de ce terrible terme. Il représente une infamie à l'égard des victimes. En jouant sur la charge émotionnelle du terme, il s'appuie souvent sur des refoulés qui sont eux-mêmes les suites idéologiques de la propagande qui facilita le génocide. Comme une mise en abyme. Dans notre époque tweeter et tik tok, l'émotion devant les drames l'emporte souvent sur le nécessaire travail de réflexion sur l'histoire et sur la nature des événements. Sur ces dérives de la pensée s'appuient d'ailleurs tous les mouvements populistes renaissants.



Détail du tableau "Caïn fuyant la colère de Dieu ou le corps d'Abel trouvé par Adam et Ève" de William Blake, peint vers 1805-1809. Harvard Art Museums via Wikimedia Commons (domaine public)


Les exterminations de masse accompagnent depuis longtemps, hélas, l'Histoire des hommes. La Bible en rapporte un nombre impressionnant en les mettant sur le dos de Dieu. « Le livre le plus sanglant est de loin le Deuxième livre des Chroniques, dans lequel Dieu aide Asa à tuer près d'un million d'hommes de l'armée de Zérach le Kushite qui voulait l’envahir », comptabilise l'écrivain américain Steve Wells (1). Le concept de génocide, lui, est pourtant relativement récent. On le doit au juriste polono-américain et juif, Raphael Lemkin, qui le forgea en 1943, en analysant ce qui n'était pas encore appelé Shoah. Alors que le tribunal de Nuremberg ignore toujours, en 1945, le terme dans son acte d'accusation et ses attendus, il faut attendre décembre 1946 pour que le "génocide" soit reconnu, défini et différencié d'autres massacres de masse par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies. Dans l'article II  de la convention adoptée, il est indiqué que «  le génocide s'entend de l'un quelconque des actes (...) commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux »


Depuis, le concept d'ethnocide s'est différencié de celui de génocide. Les historiens et les sémiologues débattent de la dénomination de ces crimes de masse, à la suite, tout à la fois, d'une connaissance plus affinée des événements ainsi définis et de l'apparition de nouvelles exterminations depuis le génocide des Arméniens perpétrés par les Turcs et depuis la Shoah. Certains, comme l'historien Jacques Semelin, dans Purifier et détruire, définissent le génocide comme le « processus particulier de la destruction des civils qui vise à l’éradication totale d’une collectivité, les critères de celle-ci étant définis par ceux-là mêmes qui entreprennent de l’anéantir. » (2)


D'autres, comme l'historien Bernard Bruneteau, reprennent la définition des deux chercheurs américains Franck Chalk et Kurt Jonassohn et définissent le génocide comme «  une forme de massacre de masse unilatéral par lequel un État ou une autre autorité a l'intention de détruire un groupe, ce groupe et ses membres étant définis par le perprétateur. » (3)

 

Au Cambodge : "peuple ancien" contre"peuple nouveau"


Au-delà de ces confrontations, je retiens que ces massacres de masse sont voulus comme tels par des organiseurs qui visent un groupe particulier, ou supposé tel, d'humains à exterminer.



Galerie de portraits issus de la liste des personnes tuées par les Khmers rouges (capture d'écran.

Source : Documentation Center of Cambodia Organization)


Le génocide des Cambodgiens que je connais bien pour avoir été correspondant de l'Humanité pour les pays de l'ex Indochine, en est un exemple frappant (4). Tout au long des débats qui marquèrent le procès des Khmers rouges devant un tribunal international (qui inclut à partir de 2006 des juges cambodgiens), la Défense tenta d'expliquer l'assassinat d'un tiers de la population du Cambodge en quatre ans (1,8 millions personnes sur une population de 5,5 millions ) par les aléas d'une guerre civile et les difficultés d'une transformation révolutionnaire de la société. D'autre part, plaidaient les avocats de la défense, comment peut-on parler de génocide quand des Cambodgiens assassinent d'autres Cambodgiens : n'est ce pas là plutôt le fait d'une guerre civile ? Il se trouve que pour organiser, accomplir et justifier idéologiquement le génocide, Pol Pot et ses amis inventèrent une division de la population du pays en deux groupes. D'un côté le "peuple ancien", les vrais khmers, et de l'autre, le "peuple nouveau" infecté par les idéologies occidentales et/ou vietnamiennes, habitants des villes, intellectuels, etc.


Un de mes amis cambodgiens, le si fin et cultivé ambassadeur de Phnom Penh à Hanoï, Sien An, fut rappelé dans sa capitale en 1976. Il y fut arrêté à son arrivée et torturé à la terrible prison de Tuol Sleng. Les polpotistes l'accusaient d'être tout à la fois un agent des Vietnamiens et du SDECE car il avait fait ses études en France et côtoyait des Vietnamiens dans sa mission officielle à Hanoï. Pour les Khmers rouges, ces contacts avaient infecté Sien An, qu'ils exécutèrent. Des centaines de milliers de Khmers connurent le même sort.


Un détail suffisait à qualifier un individu. Par exemple, le fait de porter des lunettes vous classait immédiatement dans le camp de l'ennemi, me confiait l'un des trois médecins cambodgiens ayant survécu au polpotisme, lors de notre rencontre en 1980. Il était alors devenu le directeur du seul hôpital du pays qui recommençait à fonctionner. Il m'expliqua qu'à l'arrivée des Khmers rouges à Phnom Penh en avril 1975, il écrasa ses lunettes et expliqua qu'il était chauffeur de taxi. Ce qui lui valut la vie sauve et le transfert vers des campagnes où il devint, comme tous, bagnard dans les rizières. Un des slogans khmer rouge dit tout. Diffusé partout dans le pays, il prévenait : « Dans le Cambodge nouveau , un million de personnes suffisent pour continuer la révolution. Il suffit d'un million de bons révolutionnaires pour le pays que nous construisons.Nous n'avons pas besoin du reste » (5).


Et, ce qui fut annoncé était en voie de réalisation quand l'offensive vietnamienne stoppa l'expérience et l'extermination de masse. Remarquons que l'opposition à l'utilisation du terme de génocide durera longtemps pour des raisons inavouables. L'historienne Soko-Pay Vakalis l'explique ainsi : « la mémoire bafouée des victimes est renforcée par la complicité silencieuse de la realpolitik européenne et mondiale, toutes références au génocide commis entre 1975 et 1979 étant biffées des accords de paix signés à Paris en 1991  ! En effet, lors d’une conférence préparatoire à ces mêmes accords à Pattaya, les dirigeants khmers rouges, en présence de Khieu Samphan, ont réussi, grâce à l’appui de leurs homologues chinois, à faire abandonner toute référence au génocide, sous la menace d’arrêter les négociations. » (6)


Les condamnations pour génocide des leaders khmers rouges, à la clôture du procès en novembre 2018, mirent un terme à l'appui direct ou indirect à ces bourreaux de leur peuple de par le monde. Il se manifeste toujours, ici et là, par la voix de quelques irréductibles comme Alain Badiou et, sans étonnement par les dirigeants de la Chine populaire qui, tout en influençant la politique du gouvernement actuel de Phnom Penh, continuent de garder une grande "tendresse" pour le régime des assassins qui le précéda, leurs anciens amis au pouvoir. Rappelons également que le soutien des pays occidentaux et de la France aux Khmers rouges à l'ONU durera jusqu'à la fin des années 1980 !


Un "concept" à géométrie variable


Il faut dire que l'utilisation du concept de "génocide" est à géométrie variable.

 

Quand je constate aujourd’hui  la promptitude avec laquelle Pékin qualifie de "génocide" la guerre israélienne à Gaza, je me demande où est passée la prudence matoise des dictateurs chinois, pourtant eux-mêmes experts en génocide. Depuis leur conquête militaire du pays en1950, ils flirtent avec une politique d'annihilation du Tibet en tant qu'État, organisent le déplacement de masse des populations indigènes vers les montagnes aux terres improductives et leur remplacement en masse par des Hans sur les terres des plaines fertiles. Et je laisse de coté l'enfermement du peuple Ouïghour qui, pour l'heure, n'est pas un génocide mais une répression de masse.



Des réfugiés tutsis attendent la distribution de nourriture par les organismes de secours dans le camp de Bisesero,

à 40 miles au sud-ouest de Kigali, le samedi 2 juillet 1993. Photo Jean-Marc Bouju / AP


Dans le génocide de 1994 qui vit le massacre de 800.000 Rwandais d'origine tutsie, en trois mois, par leurs voisins d'origine hutue dans les villages et villes où ils vivaient côte à côte, apparaît un élément fondamental que l'on retrouve dans tous les génocides. C'est l'organisation minutieuse (quasiment le listing des futurs victimes, leur localisation) qui précède le crime. C'est la distribution des armes à utiliser, de la simple pelle ou fourche aux armes sophistiquées. Au Rwanda, les autorités hutues distribuèrent ainsi des mois avant les massacres, des transistors et des radios aux milices, les interahamwe. Ainsi pouvaient ils écouter et recevoir les ordres des dirigeants génocidaires.


La radio des Mille collines joua ce rôle idéologique d'appel au meurtre, dès 1992, en diffusant de fausses informations et des appels à la haine des Tutsis. Puis ce média facilita l'accomplissement du génocide pendant les trois mois qu'il dura. D'après de nombreux journalistes (Jean-Pierre Chrétien, Gérard Prunier...) le projet génocidaire était établi depuis plusieurs années et ces "médias du génocide" tenus par les Hutus extrémistes furent un élément essentiel de la préparation et la mise en œuvre du crime.


Dans son livre «  Pas un mot , pas une ligne ? 1944-1994. Des camps de la mort au génocide rwandais »», mon ami l'historien et journaliste Didier Epelbaum revient sur ces témoignages qui écrivent l'histoire. Il rapporte les articles du journaliste de L'Humanité, envoyé spécial sur place, Jean Chatain (le premier de la presse à utiliser en France le terme de génocide) : « les tueries ont été programmées soigneusement avant d'être mises à exécution sous la direction des forces gouvernementales. » (7)

 

La mutation de la victime en bourreau


Il est un aspect du génocide en 1994 des Tutsis par les Hutus au Rwanda qui nous permet de mieux situer un des aspects récurrents du débat sur les génocides : la relation complotiste qui organise la mutation de la victime en bourreau.


Didier Epelbaum explore ce phénomène. Dans le chapitre intitulé "L'innommable Shoah au Rwanda", il remarque : «  Avec le temps, les négationnistes ont tendance à se radicaliser et à renverser les responsabilités sur les victimes(...) Les négationnismes des génocides des Arméniens, des Cambodgiens ou des Tutsis sont différents du négationnisme de la Shoah dans la mesure où ils peuvent s'appuyer sur des années ou des décennies de guerres , d'affrontements, de massacres sporadiques sujets à interprétation diverses. Ce n'est pas le cas des Juifs qui n'ont jamais eu de conflits avec l'Allemagne(...) Le procédé du génocide renversé est repris aujourd'hui par la Turquie. » (8)


Ce négationnisme, cette démarche toujours idéologique, peut s'exercer sur la dénaturation du sens à donner à un événement. Ainsi il en va de l'interprétation des tueries du 7 octobre, que je nomme "pogroms" et que nombre de mes concitoyens estiment "actes de Résistance".


« Tuez les Juifs », hurlaient, face i phone, les miliciens du Hamas en train de violer et de démembrer à coups de pelles les habitants pacifistes des kibboutz du sud israélien ; «  tuez les Juifs », psalmodiaient les porteurs de kalachs tirant en rafales sur les danseurs pacifistes de la rave party ; « enlevez  les Juifs », rappelaient les commandants des commandos.


Ce que des irresponsables, leaders d'opinion, comparent à l'action des maquisards du Vercors, je le nomme début d'un génocide. Car des humains ont été ici tués pour ce qu'ils étaient, selon la définition qu'en donnaient les assassins : des Juifs. Les miliciens du Hamas et du Jihad islamique auraient eu les moyens d 'étendre à tout Israël ce qu'ils accomplirent dans ces villages frontaliers, ils y auraient assassiné toute vie juive. (9)


Le journaliste Charles Enderlin, l'un des mieux informés de la région, avait déjà analysé cette dimension essentielle du Hamas. Dans son livre prémonitoire publié en 2009, Le Grand aveuglement. Israël et l’irrésistible ascension de l'islam radical, il explique combien l’antisémitisme est assumé par le Hamas depuis sa fondation. L’article 28 de sa charte énonce notamment qu’« Israël, par sa judéité et ses Juifs, constitue un défi pour l’islam et les musulmans », et l’article 32 que « leur plan se trouve dans les Protocoles des Sages de Sion et leur conduite présente est une bonne preuve de ce qu’ils avancent ».

 

Militariser totalement Gaza


Depuis sa prise de pouvoir à Gaza en 2007 à la suite d'un coup de force (10), le Hamas se prépare à l'irruption massive en Israël et a construit sept cents kilomètres de souterrains, de tunnels. Je remarque que plus personne ne remet en cause leur existence comme ce fut le cas pendant plusieurs semaines dans nombre de médias. Toutes leurs entrées partent d'habitations et dans des établissements publics, crèches, écoles, hôpitaux, mosquées. Certains permettent de s'introduire clandestinement en Israël pour y commettre des attentats. D'autres encore ouvrent des chemins d'accès du Sinaï vers Gaza pour introduire armes et munitions. Ce réseau est entièrement dévolu aux combattants. Comme le plaidait le dirigeant du Hamas Mousa Abu Marzouk le 27 octobre 2023 à la chaîne russe Russian Today : « Nous avons construit les tunnels parce que nous n’avons pas d’autre moyen de nous protéger contre les attaques et les meurtres. Ces tunnels sont destinés à nous protéger des avions. Nous nous battons à l’intérieur des tunnels. Tout le monde sait que 75 % de la population de la bande de Gaza sont des réfugiés et qu’il est de la responsabilité des Nations Unies de les protéger. Selon la Convention de Genève, il est de la responsabilité de l’occupation de leur fournir tous les services tant qu’ils sont sous occupation » (repris par Memri TV)


Le Hamas a donc militarisé avec soin l'ensemble de la bande de Gaza avec soin. Il a réussi cet exploit, sur une longue période, sous les yeux de services de renseignement réputés parmi les meilleurs, et a roulé dans la farine le gouvernement de Netanyahou, l'autre coupable de cette tragédie.


Le Hamas a déployé un art de la guerre et de la dissimulation à nul autre pareil. Il a anticipé jusqu'au détail et désiré la réponse israélienne. Le Hamas et son sponsor iranien avaient prévu la violence de l'attaque israélienne, à la mesure du pogrom et de la prise massive d'otages. Ils souhaitaient même que les civils gazaouis soient massivement et prioritairement les victimes de cette guerre. Le numéro un du Hamas, Ismaïl Haniyeh, le déclarait sans fard, le 26 octobre 2024, à la télévision libanaise du Hezbollah, Mayadeen : « Je l’ai déjà dit, et je le dis-le encore une fois. Le sang des femmes, des enfants et des personnes âgées... Je ne dis pas que ce sang appelle votre [aide]. C’est nous qui avons besoin de ce sang, pour qu’il éveille en nous l’esprit révolutionnaire, qu’il éveille en nous la détermination, qu’il éveille en nous l’esprit de défi et qu’il nous pousse à aller de l’avant. » (repris par Memri TV)



Des manifestants israéliens demandent au gouvernement d'obtenir la libération des otages détenus dans la bande de Gaza par le Hamas lors d'un rassemblement marquant le sixième mois depuis le début de la guerre contre le groupe militant islamiste, devant la Knesset,

le Parlement israélien, à Jérusalem, le dimanche 7 avril 2024. Photo Ohad Zwigenberg / AP

 

Guerre, crimes ou génocide ?


A Gaza, les troupes israéliennes, dans cette guerre asymétrique, mènent-elles un génocide ? C'est à dire : les dirigeants israéliens et le haut commandement militaire tuent-ils les Palestiniens parce qu'ils sont Palestiniens ? Tuent-ils des civils en fonction d'un listing préétabli ?


Les manifestants de par le monde, composés de soutiens de longue date du Hamas, du Djihad islamique, du Hezbollah, anti-sionistes qui ne voient le salut que dans la disparition de l’État israélien le proclament. Ils chantent en toute connaissance de cause "Du Jourdain à la mer, free Palestine". Ils sont rejoints par tous ceux qui ont un légitime haut-le-cœur face au nombre de victimes civiles.


Cette terrible question mérite d'être traitée en éliminant toute volonté de propagande. Il est osé de faire une analyse à froid quand meurent tant de familles. Comment parler "contexte" et "stratégie" quand tant de drames endeuillent tant de familles. J'ai déjà tenté de dire ma vérité sur cette nouvelle étape de la tragédie israélo-palestinienne ("Un rien qui dit tout", le 15 mars dernier, lire ICI).


Tout d'abord, je veux rappeler ici que la plainte du gouvernement sud-africain auprès du Tribunal de l'ONU pour génocide n'a pas été reprise dans le jugement prononcé: celui-ci met en garde le gouvernement Netanyaouh contre le risque de génocide. Ce qui n'est pas la même chose.


Malgré l'émotion, pour comprendre ce qui se joue et le définir, il est nécessaire d'analyser les stratégies des uns et des autres, tressées dans des entrelacs d'une rare complexité.

 

La stratégie du Hamas


Pourquoi Le Hamas et ses mentors iraniens choisissent-ils ce moment pour monter en puissance et tenter de créer l'irréparable ? Il y a là comme une nécessité impérieuse et une opportunité réelle. Une sorte d'alignement des planètes. Les Accords d'Abraham [traités de paix entre Israël et les Émirats arabes unis d'une part et entre Israël et Bahreïn] allaient réussir l'impensable : l'alliance israélo-arabe contre l'Iran. Les forces armées israéliennes étaient, dans le même temps, déployées au Nord Est, en soutien aux suprémacistes racistes en Cisjordanie occupée, dégageant ainsi la frontière sud. Celle-ci, d'après les imbéciles d'extrême-droite réunis autour de l'escroc Netanyaouh, connaissait un calme olympien. Le dirigeant du Hamas, Ismaïl Haniyeh, avait depuis longtemps sur-joué le rôle d'un responsable ayant évacué jusqu'à l’idée de guerre contre Israël. L'organisation terroriste allait jusqu'à modifier sa Charte en affirmant qu'après tout, il était possible que l'entité sioniste puisse continuer d'exister auprès d'un État palestinien dans les frontières de 1967.


Nous savons aujourd'hui ce qu'il en est. Khaled Mashal, le chef du Hamas à l’étranger, a rejeté la solution à deux États. Le 16 janvier dernier, dans une interview, il affirmait qu'il « existe un consensus parmi les Palestiniens sur le fait qu’ils ne renonceraient pas à leurs droits sur la Palestine du fleuve Jourdain à la mer Méditerranée. ». Khaled Mashal souligne également que « le 7 octobre a renouvelé ce rêve et cet espoir et a montré qu’il s’agit d’une idée réaliste, pas seulement d’un rêve » (voir vidéo ci-dessous, propos traduits en anglais).



Depuis six mois s'affrontent donc deux ennemis au milieu d'une population devenue à la fois bouclier et victime. Six cents soldats de Tsahal ont été tués au combat dans les dédales des villes de Gaza, dans les hôpitaux et écoles utilisés comme sorties de tunnel et zones de combat, dans les caves, les habitations. L'armée israélienne affirme avoir tué 9.000 combattants du Hamas et du Jihad islamique. 20.000 victimes civiles, selon les chiffres du ministre de la santé du Hamas, dont des milliers d'enfants, sont donc à pleurer. Ces chiffres font froid dans le dos mais ils ne signent pas un génocide. Personne n'a parlé de génocide à propos de la guerre en 2016 et 2017 à Mossoul, la deuxième ville d'Irak et capitale de l'éphémère État islamique de Daesh. Nulles manifestations de masse à Londres, Paris, New York, Amman, Santiago, Madrid, Beyrouth, Stockholm, Oslo, Buenos Aires ...


Pourquoi ? Pourtant 40.000 civils auraient été tués dans ces combats, selon les services de renseignement kurdes. Ces pertes seraient imputables aussi bien aux forces irakiennes, aux bombardements aériens et terrestres de la coalition et aux actions des militants de l'État islamique.


Il existe, à mon avis, deux tentations clairement génocidaires à l’œuvre dans les combats au Proche Orient. Tout d'abord, celle du Hamas et de ses miliciens qui tuent les Israéliens parce qu'ils sont Juifs. Ils ne s'en cachent d'ailleurs pas. Les seconds génocidaires sont à rechercher parmi les Fous de Dieu et les colons israéliens (souvent les mêmes) qui chassent et tuent quand ils le souhaitent les paysans palestiniens de Cisjordanie occupée, les forcent à quitter leur habitation à Jérusalem. Le grand écrivain israélien David Grossman les dénonce : « Nous avons cultivé une plante carnivore qui, lentement, nous dévore. » (11). Ils sont à rechercher parmi les ministres de ce gouvernement Netanyaouh, dont le suprémaciste raciste Itamar Ben G'vir. Ceux-là tentent de pourrir par la tête la population juive. Ils sont les meilleurs alliés du Hamas, les mêmes à l'envers. S'ils réussissent, alors Israël sera détruite. L'opposition à leur politique jusqu'auboutiste grandit en Israël. Le 12 mars dernier, l’organisation Commanders for Israel’s Security, qui rassemble plus de 500 anciens responsables des services de sécurité israéliens ont adressé une lettre ouverte, relayée par The Times of Israel, accusant Nétanyahou et ses alliés extrémistes de saper la sécurité de l’État hébreu. 


La guerre actuelle s'arrêtera. Le plus tôt sera le mieux pour tous et notamment pour les otages, les familles gazaouies et les populations du sud et du nord d’Israël, déplacées pour cause de missiles. De ce mal naitra-t-il un bien, une fois le Hamas et le gouvernement Netanyouh mis hors-jeu ? Loin des slogans, de la propagande, la questions fondamentale qui mine la région depuis si longtemps sera-t-elle enfin prise en compte ?


Comme l'écrit Charles Enderlin en conclusion de son Paix ou  Guerre ? (éditions Stock, 1997) : « Les dirigeants israéliens devront trancher, accepter ou refuser le compromis historique avec les Palestiniens dont tous les négociateurs de la région ont discuté depuis 1917 : le partage de ce qui est pour les Arabes, la Palestine historique, et pour les Juifs, la terre promise biblique. »


Michel Strulovici


NOTES


(1). Voir l’éclairante recension du livre « Drunk with blood. God'killings in the Bible » de Steve Wells par Aude Lorriaux : "Dieu a tué 2,8 millions de personnes dans la Bible", Slate du 25 avril 2016.


(2). Jacques Semelin, Purifier et détruire, éditions du Seuil, 2005.


(3). Bernard Bruneteau, Le siècle des génocides, Éditions Armand Colin, 2004, Page 17.


(4). Michel Strulovici, Sorties de guerre : Vietnam, Laos, Cambodge. 1975-2012, Éditions les Indes savantes. Paris, septembre 2016.


(5). Cité page 147 dans mes Sorties de guerre, reprenant Cambodge, année zéro, le remarquable ouvrage  de François Ponchaud, éditions Julliard, 1977.


(6). Soko Phay-Vakalis, "Le génocide cambodgien", dans la Revue Études, n°408 (ICI).


(7). Didier Epelbaum, Pas un mot ,pas une ligne ?, éditions Stock, 2005.


(8). Didier Epelbaum, op. cit.


(9). Voir ma chronique "Un rien qui dit tout" du 15 mars 2024 dans les humanités


(10). Le 14 juin 2007, le Hamas s'empare par la force de la totalité du pouvoir à Gaza au terme d'une semaine d'affrontements meurtriers avec le Fatah. Ces heurts remettent également en cause le pouvoir présidentiel de Mahmoud Abbas, dont le bureau est détruit par des tirs de mortier le 12 juin. Dès lors, ce coup de force se situe dans le prolongement des combats entre partisans du Hamas et du Fatah qui débutent très vite après la victoire du Hamas aux élections législatives du 25 janvier 2006. Au cours de l'année 2006, les violences inter-palestiniennes causent la mort d'environ 320 personnes. Le 8 février 2007, le Hamas et le Fatah s'entendent pourtant pour la formation d'un gouvernement destiné à mettre un terme à ces violences. Le 17 mars, Ismaël Haniyeh, reconduit dans ses fonctions de premier ministre, forme un gouvernement d'union nationale avec le Fatah, ce qui n'empêche pas la reprise des affrontements dès le mois de mai et le coup de force de la mi-juin 2007.


(11). Vendredi 9 avril, l’écrivain israélien David Grossman prononça un discours inopiné lors de la manifestation contre les expulsions de familles palestiniennes dans le quartier arabe de Sheikh Jarrah et leur remplacement par des colons fondamentalistes : « Je pense que nous commençons tous à comprendre (même ceux qui n’en ont pas réellement envie) comment, il y a 43 ans, en refusant de voir, en collaborant passivement ou activement, nous avons de fait cultivé une espèce de plante carnivore qui est en train de nous dévorer lentement et d’engloutir tout ce qu’il y a de bon en nous, faisant ainsi de notre pays un endroit où il ne fait pas bon vivre. Il n’y fait pas bon vivre, non seulement si on est citoyen arabe israélien, et très certainement si on est un Palestinien résident des territoires occupés, mais aussi pour tout Israélien juif qui souhaite vivre ici, qui a au cœur l’espoir de se trouver dans là où les humains sont respectés en tant qu’humains, où vos droits sont une donnée de base, où humanité, morale et droits civiques ne sont pas des gros mots et non quelque chose de la « gauche dont le cœur saigne toujours». Non. Nous sommes le pain et l’eau de ce pays, le beurre et le lait de notre pays, le matériau avec lequel nous faisons notre vie, et qui la rendraient digne d’être vécue, ici. »


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