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En Poutinie post-stalinienne, des enfants déportés en voie de "zombification"



L'enquête sur les déportations d'enfants ukrainiens en Russie est loin d'être terminée. Alors que Vladimir Poutine vient de réhabiliter la figure de Lavrenti Beria, persécuteur en chef du régime stalinien, des adolescents ukrainiens sont envoyés dans des "stations balnéaires" en Biélorussie, ou encore dans des camps paramilitaires en Kalmoukie, à 600 kilomètres du Donbass.


La Biélorussie est davantage connue pour les atteintes aux droits de l’homme sous le régime dictatorial d’Alexandre Loukachenko -en poste depuis 1994- que pour ses stations balnéaires. Normal : enclavée, la Biélorussie n’a pas d’accès maritime. Mais son territoire est parsemé de nombreux lacs et rivières, où des plages de sable ont été aménagées sous l’ère soviétique. C’est là, notamment sur les rives de l’immense lac Naroch (surnommé la "mer biélorusse"), que se pressait la nomenklatura soviétique. Depuis qu’avec Poutine, le pouvoir et l’économie russes ont pris des allures de mafia à grande échelle, les plus fortunés ont choisi des destinations plus bling-bling (la Côte d’Azur, la Riviera italienne, les plages thaïlandaises ou celles des Barbades, et…les yachts de luxe), quand de plus modestes, que l’on qualifierait ici de "classes moyennes", ont jeté leur dévolu, depuis 2014, sur la Crimée annexée et ses plages de sable fin sur la mer Noire.


Aujourd’hui, les "stations balnéaires" biélorusses tournent donc au ralenti. D’un autre côté, la Russie peine à "écouler" les enfants déportés d’Ukraine : comme les humanités l’ont déjà révélé, malgré une propagande menée tambour battant, les familles russes ne se sont guère bousculées au portillon pour adopter les enfants des "nouvelles régions russes" (selon la terminologie du Kremlin). Résultat : des milliers d’entre eux "moisissent" dans des orphelinats et autres camps de rééducation, quasiment sans qu’aucune information ne filtre à leur sujet, la Russie refusant toute mission d’inspection des Nations Unies et de la Croix-Rouge internationale.

La récente entrevue entre Maria Lvova-Belova et Dmitry Kruty, l’ambassadeur biélorusse à Moscou


Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner que la Biélorussie de Loukachenko ait offert ses "bons et loyaux services" (sans doute moyennant émoluments, mais l’histoire ne le précise pas) à "Bloody Mary", alias Maria Lvova-Belova, afin d’envoyer en "vacances", dans les stations balnéaires biélorusses, des enfants et adolescents de l’Ukraine occupée, et de leur faire profiter de "soins de santé" et autres "loisirs en sanatorium", comme vient de l’annoncer l’ambassadeur biélorusse à Moscou, Dmitry Kruty, qui s’est félicité de cette « coopération humanitaire ».


Voici peu (le 29 juin), c’est l’envoyé spécial du Pape, le cardinal Matteo Zuppi, archevêque de Bologne et président de la Conférence épiscopale italienne, qui venait, tout onctueux, « faire la paix » avec Maria Lvova-Belova, la commissaire russe aux droits de l’enfant contre qui la Cour pénale internationale a lancé un mandat d’arrêt pour son rôle central dans les déportations d’enfants, que les humanités ont abondamment documenté. Laquelle s’est empressée de publier sur Telegram cette divine nouvelle : « Nous avons discuté de questions humanitaires liées à l'action militaire et à la protection des droits de l'enfant. Je suis convaincue que l'amour et la compassion des chrétiens contribueront au dialogue et à la compréhension mutuelle. » Ben voyons…


Le cardinal Matteo Zuppi, "envoyé spécial" du Pape, lors de son entrevue à Moscou avec Maria Lvova-Belova, le 29 juin 2023.


« L’objectif principal de l’initiative », disait de son côté le Vatican dans un communiqué publié le 27 juin, « est d’encourager les gestes d’humanité, qui peuvent aider à favoriser une solution à la situation tragique actuelle et à trouver des moyens de parvenir à une paix juste. » L’un de ces « gestes d’humanité » concernait précisément les enfants déportés (lire ICI). Qualifié « d’homme des missions impossibles », le cardinal Zuppi se faisait fort d’intercéder pour que la Russie commence à rendre ces enfants à l’Ukraine. Mais la mission du prélat a fait chou blanc. Si les voies du Seigneur sont impénétrables, celles du tsar du Kremlin ne laissent guère de place au doute : les enfants arrachés aux terres du Donbass sont désormais propriété exclusive du nouvel empire russe. Arrachés une fois pour toutes à "l’Occident décadent" que rêve de rejoindre un pays (l’Ukraine) qui n’aurait jamais dû exister, ils sont destinés à compenser le déclin démographique russo-slave (déclin que ne va pas arranger l’hécatombe de soldats russes sur le front de "l’opération militaire spéciale", chiffrée à 47.000 hommes par une récente enquête de Meduza et Mediazona, soit déjà trois fois plus que les pertes soviétiques lors des 10 ans de la guerre en Afghanistan).


Est-ce pour donner à l’envoyé spécial du Pape la sensation que sa mission n’aura pas été vaine ? Dans une longue publication sur Telegram, Maria Lvova-Belova s’est tout récemment vantée d’avoir permis à deux sœurs originaires de Donetsk de retrouver leur mère restée en Ukraine. « Encore une histoire de retrouvailles heureuses entre des enfants et des parents séparés lors de l'opération spéciale », se félicite la Poutinasse rafleuse d’enfants.

Elle s’abstient en revanche de communiquer sur les 280 enfants du district d’Anthrasyt, dans la région de Louhansk, envoyés en "cure de désintoxication" en République de Kalmoukie, à 600 kilomètres de chez eux. Là, ce n’est pas une station balnéaire qui les attendait, mais un camp de formation militaire du "corps de cadets cosaques" (Lire ICI, en anglais), afin d’y être "zombifiés".


Comme l’avait narré un reportage du Monde en février 2013, Poutine a ressuscité (et dévoyé) l’esprit cosaque en reprenant à son compte la devise du comte Ouvarov (1786-1855) : "Autocratie, orthodoxie et esprit national", offerte au tsar Nicolas Ier pour asseoir son absolutisme. Les humanités ont déjà raconté l’histoire des "Cosaques du Don" et la façon dont leur doctrine orthodoxe et paramilitaire est mise au service de la guerre en Ukraine et de la "rééducation" des jeunes (lire ICI). Ici, petit changement de décor : ça se passe en Kalmoukie, où le Lycée des Cosaques des peuples du Caucase de Zheleznovodsk a été classé parmi les dix meilleurs corps de cadets cosaques du pays.


"Cadets cosaques" à l'entraînement en Kalmoukie, en 2019.


La Kalmoukie, où la majorité de la population (descendants de Mongolsoïrats originaires du Khanat dzoungar, dans l'actuel Xinjiang en Chine) est de confession bouddhiste, a déjà payé un lourd tribut à la russification forcée, à l’époque de Staline. En 1943, le "petit père des peuples" avait ordonné la déportation des Kalmouks vers la Sibérie. La moitié d’entre eux y périrent…


Avec celui qu’Emmanuel Macron ne voulait pas « humilier », la filiation est aujourd’hui assurée. Ce 13 juillet, comme le relate le site internet du Kremlin, lors d’un forum sur les technologies du futur, Vladimir Poutine, estimant que « chaque époque a besoin de ses propres héros », a réhabilité la figure du sinistre Lavrenti Beria, l’ex-bras droit de Staline qui a dirigé le NKVD (précurseur du KGB) de 1938 à 1945, qui fut à ce titre l'un des responsables du massacre de Katyń, et qui contrôla jusqu’à sa mort, en 1953, l'ensemble de la sécurité intérieure et extérieure de l'Union soviétique. Lors de la signature du Pacte germano-soviétique, Staline l’avait présenté au SS-Standartenführer Ribbentrop comme « le chef de notre Gestapo », puis comme « notre Himmler » à Franklin Roosevelt lors de la conférence de Yalta.


Enfin, pour qui veut savoir à quoi ressemble à quoi ressemble un camp de cadets cosaques en Kalmoutie, les humanités ont retrouvé une vidéo datée de novembre 2016, tournée lors d’une "fête" au camp de Gorodovikov ("Казачий кадетский корпус им. О. И. Городовикова"), précisément là où ont été expédiés les jeunes gens de Louhansk. Glaçant…


Les humanités, ce n'est pas pareil. Entièrement gratuit et sans publicité, édité par une association, le site des humanités entend pourtant fureter, révéler, défricher, offrir à ses lectrices et lecteurs une information buissonnière, hors des sentiers battus.

Pour encourager cette aventure, dès 1 € :l



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