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Moscou, 9 mai : d'une guerre à l'autre

Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Le 5 mai 2025 à Vladivostok, un défilé d'enfants en tenue militaire. Photo DR


Le 9 mai 1945, Moscou saluait la fin de la Seconde Guerre mondiale avec un feu d’artifice sur la Place Rouge. Huit décennies plus tard, cette « victoire » est devenue le socle d’un nationalisme agressif, orchestré par Vladimir Poutine. Derrière les parades militaires et les discours martiaux, un régime durcit son emprise : militarisation de l’enfance, déportation d’enfants ukrainiens, torture de prisonniers, répression des dissidents et soutien à des milices néo-fascistes. En ce jour de commémoration, la Russie ne célèbre plus seulement la paix retrouvée, mais affirme sa volonté de puissance dans un monde qu’elle défie.


Alisa Gorshenina, jeune artiste russe de 31 ans, ne risque guère de participer aux cérémonies du 9 mai sur la Place Rouge. Condamnée une première fois en 2022 pour une action pacifiste, elle avait alors écopé d'une simple amende de 35.000 roubles (380 euros) pour "discrédit de l'armée russe". Le 25 avril dernier, elle a à nouveau été arrêtée et, cette fois-ci, jetée en prison. Son crime ? Avoir tagué une publication sur un réseau social d'un émoji arc-en-ciel. En plus d'avoir discrédité l'armée, la voilà désormais accusée de "propagande LGBT". Elle rejoint ainsi les 1.566 "prisonniers politiques" actuellement emprisonnés en Russie, selon un rapport récent de l’organisation OVD-Info (le chiffre réel pourrait être beaucoup plus élevé, en raison de l’opacité du système judiciaire russe)... En solidarité, nous consacrons à Galina Gorshenina un portfolio (Voir ICI).


Une célébration instrumentalisée par Poutine


Il y a 80 ans, le 9 mai 1945 à Moscou, Staline fit tirer un feu d'artifice sur la Place Rouge : il n'en fallait pas moins pour marquer la fin de la Seconde Guerre Mondiale et du nazisme. Pourquoi le 9 mai ? Question de décalage horaire : quand l'acte de reddition allemand a été signé à Berlin, le 8 mai 1945 à 23h01, très précisément, il était 1h01 à Moscou, le 9 mai. En Union soviétique, cette date du 9 mai n'a ensuite été commémorée, et relativement discrètement, qu'en 1946 et 1947 : le lourd tribut payé pendant la guerre, notamment en Ukraine et en Biélorussie, avec des dizaines de millions de victimes, de nombreuses destructions et d’immenses souffrances, n'incitait guère à "fêter la victoire". Et puis, la grande commémoration nationale était, depuis 1918, celle du 7 novembre, pour marquer l’anniversaire de la Révolution d’Octobre. Chaque année, à cette date, l’URSS organisait son principal défilé militaire sur la Place Rouge et faisait l’étalage de sa puissance militaire...


Ce n'est qu'en 1965, sous la présidence de Léonid Brejnev et sa volonté de réhabiliter l'héritage de Staline, que le 9 mai est redevenu jour férié, mais il n'y eut de défilé militaire sur la Place Rouge que cette même année 1965, puis en 1985 et 1990. C'est avec Poutine, arrivé au pouvoir en 2000, que la célébration du "Jour de la Victoire" a radicalement changé, particulièrement après le discours choc prononcé par le nouveau maître du Kremlin en 2007 lors de la conférence de Munich sur la sécurité, qui préfigurait d'une certaine manière la guerre d'agression en Ukraine. Déjà, en 2000, l'année de son accession au pouvoir, Poutine lançait à l'adresse d'un groupe d'anciens combattants : « Grâce à vous, nous avons pris l'habitude d'être des vainqueurs. Cela est entré dans notre sang ». A partir de 2008, le 9 mai est devenu un pilier de la propagande du Kremlin, avec des défilés spectaculaires, la glorification de la puissance militaire et l’adoption de nouveaux symboles comme le ruban de Saint-Georges. Le message évolue : d’un « plus jamais ça » axé sur la mémoire des victimes, la fête glisse vers un « nous pouvons recommencer », avec une rhétorique de confrontation envers l’Occident, désormais désigné comme l’ennemi.

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Cette instrumentalisation de la « Grande Guerre patriotique » (c'est ainsi qu'on appelle en Russie la Seconde Guerre mondiale), accentuée à partir de 2015 par la récupération en grandes pompes du « Régiment immortel », une initiative mémorielle née dans la société civile (1), est volontiers qualifiée, par ceux qui critiquement l'autocratisme bellicisdte du Führer du Kremlin, de « Pobedobesie », une expression que l'on pourrait traduire par "hystérie de la victoire" (2).


Patriotisme dès le plus jeune âge


Cette année, avant le défilé du 9 mai sur la Place Rouge, la chaîne de télévision publique Rossiya-1 a diffusé un "documentaire" du propagandiste Pavel Zarubin intitulé Russie. Le Kremlin. Poutine. 25 ans. Ce film de 90 minutes présente une série d'entretiens enregistrés au Kremlin au printemps 2025, entrecoupés d'images destinées à présenter les "réalisations" de Vladimir Poutine au cours de ses 25 années au pouvoir. Sans surprise, le Führer du Kremlin défend l'annexion de la Crimée en ajoutant qu'en 2014, la Russie n’était pas encore prête militairement, économiquement et financièrement à un affrontement direct avec l’Occident. Il justifie évidemment l'invasion à grande échelle de l'Ukraine, qui a, selon lui, renforcé la conscience patriotique des Russes. Dans une nouvelle diatribe contre les « valeurs occidentales », il dit « espérer » ne pas avoir à utiliser d'armes nucléaires. Peut-être voudrait-il être remercié pour tant de "mansuétude" ?


La conscience patriotique russe, ça se cultive dès le plus jeune âge. Le 5 mai dernier, Poutine a adoubé le nouveau conseil de surveillance du Mouvement des Premiers, où siège désormais Maria Lvova-Belova, l'architecte en chef des déportations d'enfants ukrainiens. Cette organisation de jeunesse, qui regroupe plus de 10 millions de membres et environ 50.000 sections locales à travers 89 régions du pays, prépare, sous couvert d'actions éducatives et de loisirs, à la militarisation des plus jeunes.


Le 5 mai 2025 à Vladivostok, un défilé d'enfants en tenue militaire, sous le regard d'écolières nord-coréennes (photo de droite).


Illustration : ce même 5 mai, à Vladivostok, dans l'Extrême-Orient russe, plus de 1.500 enfants d'écoles primaires, vêtus d'uniformes militaires, ont été embrigadés dans un défilé d'enfants, ouvert par des "vétérans" de la guerre en Ukraine. Cerise sur le gâteau : pour gonfler l'assistance, les autorités russes ont affrété, tout exprès, un groupe d'écolières nord-coréennes. C'est beau, l'amitié entre les peuples !


Des adolescents ukrainiens, déportés en Russie, sont eux aussi soumis à la propagande et à la militarisation, et sont susceptibles, lorsqu'ils atteignent la majorité, d'être mobilisés dans l'armée qui occupe leur propre territoire. The Kyiv Independant alerte à nouveau sur cette monstruosité. L'Ukraine tente par tous les moyens d'obtenir le rapatriement des enfants déportés, sans pouvoir localiser leur emplacement exact. Ce 8 mai, le Parlement européen a adopté à une très large majorité, par 516 voix pour, 3 contre et 34 abstentions, une résolution condamnant fermement la déportation et la russification forcée des enfants ukrainiens par la Russie, exigeant leur retour immédiat et inconditionnel. Pour la première fois, cette résolution qualifie ces actes de « stratégie génocidaire » visant à effacer l’identité ukrainienne.


Au sort des enfants, il conviendrait d'ajouter celui des milliers de prisonniers ukrainiens, militaires et civils, détenus en Russie et/ou dans les territoires occupés dans des conditions qui bafouent les plus élémentaires droits humains. Après les révélations sur tes tortures subies en captivité par la journaliste ukrainienne Victoria Roshchyna, dont le corps a été restitué cinq mois après sa mort, terriblement mutilé (Lire ICI), l'enquête se poursuit. « Des dizaines de témoignages de prisonniers militaires et civils et de responsables des services de renseignement ne laissent planer aucun doute sur le fait que le système de torture organisé par les Russes possède une structure claire, peaufinée depuis des années. Le fonctionnement de cette "machine à torturer" massive a d'abord été testé sur le territoire de la Crimée annexée et du Donbass occupé, à partir de 2014 », écrit Ukrayinska Pravda. « Le premier service de contre-espionnage du FSB, le deuxième service de protection de l'ordre constitutionnel et de lutte contre le terrorisme et, plus activement, le cinquième service d'information opérationnelle et de relations internationales s'occupent de l'Ukraine ».


Si le centre de détention de Taganrog, où la torture est pratiquée systématiquement, est désormais bien identifié (Ukrayinska Pravda publie même les noms de plusieurs responsables et tortionnaires), les militants ukrainiens des droits de l'homme font état de plus de 180 prisons et centres de détention où des prisonniers ukrainiens ont été incarcérés. Parmi ceux-ci, la colonie n° 7 du village de Pakino, dans la région de Vladimir, n'a rien à envier en termes de cruauté à Taganrog. On peut encore mentionner la "colonie n° 10", en Mordovie, où plusieurs détenus sont morts à la suite de sévices et de mauvais traitements. Et on est encore loin de connaître toute la réalité de ce qui ressemble à un véritable système concentrationnaire.

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Des membres de la milice "Russkaya Obshchina". Photo issue du réseau social russe VKontakte


La victoire contre le nazisme, qu'est censé commémorer le 9 mai, n'est pour Poutine que le paravent d'un nationalisme exacerbé, patriotico-militaire, qui emprunte au Troisième Reich certaines "méthodes". On a parlé de l'endoctrinement militaire des enfants, dont on ne trouve aujourd'hui l'équivalent dans aucun autre État au monde. Il faut encore mentionner certaines "milices" ouvertement fascistes voire néo-nazies qui gravitent autour du régime de Poutine, avec sa protection, et le financement, pour certains de ces groupes, du milliardaire ultra-nationaiste Konstantin Malofeev, marié à Lvova-Belova, l'architecte d'es déportations d'enfants : tout un petit monde.


Meduza vient de publier un reportage sur l'une de ces milices, "Russkaya Obshchina", devenu en quelques années le principal mouvement ultra-nationaliste de Russie. Fondé en 2020, le groupe s’est vite distingué par ses actions spectaculaires : descentes punitives contre les migrants et les personnes LGBTQ+, dénonciations publiques, et organisation de raids avec usage de la force, parfois en usurpant l’identité de policiers. Forte de 150 antennes locales, cette milice collabore ouvertement avec la police, bénéficie d’un accès direct à Alexandre Bastrykine, chef du Comité d’enquête der la Fédération de Rusdsie, et reçoit le soutien du patriarche orthodoxe Kirill. Le groupe organise aussi des collectes pour l’armée russe, des entraînements paramilitaires et des événements religieux.


Le 4 mai dernier, cinq de ces zozos, portant le sigle de "Russkaya Obshchina", ont fait violemment irruption dans un appartement de Vsevolozhsk, près de Léningrad, où se trouvaient le fils de 46 ans du propriétaire et deux de ses connaissances : une femme de 24 ans et un homme de 37 ans originaire d'Arménie. Ce dernier est mort dans l'incendie de l'appartement. Que l'on se rassure, il n'y aura pas de poursuites : les enquêteurs ont vite conclu que l'Arménien mort dans l'histoire avait lui-même mis le feu à son appartement !


De gauche à droite : Evgueni Pankratov, le jeune activiste néo-nazi qui a dénoncé Sergueï Maryin (photo du milieu),

"défenseur laïc" qui avait notamment assuré la défense de Nuyan Vidyaz et Yogan Minka (photo de droite).


Un "défenseur laïc" condamné à un an de colonie pénitentiaire


C'est sur la foi de la dénonciation et du "témoignage" à charge de l'un de ces jeunes néo-nazis, Evgueni Pankratov, grand amateur de croix gammées slaves, d'armes à feu et de néo-paganisme, qu'un militant des droits civiques de 69 ans, Sergueï Maryin, a été condamné le 25 mars dernier à un an de colonie pénitentiaire, avec une interdiction de deux ans d'administrer des sites Web et de publier sur Internet après sa libération. Narrée par OVD-info (une ONG indépendante de défense des droits humains, désignée « agent de l’étranger » par le ministère russe de la Justice, mais qui parvient cependant à poursuivre ses activités), la scène se passe à Saransk, 300.000 habitants, capitale de la république de Mordovie (3). Sergueï Maryin y est notoirement connu (et apprécié) pour être devenu, à sa retraite de géologue, "défenseur laïc". C'est une spécifité russe : les défenseurs laïcs ou "défenseurs communautaires" n'ont aucun diplôme et ne sont pas avocats, mais ils peuvent participer aux procédures judiciaires et représenter des clients. Sergueï Maryin s'est notamment illustré pour avoir pris la défense de deux dangereux terroristes... de 90 et 76 ans, Nuyan Vidyaz, et son "jeune" neveu, Yogan Minka, jugés pour "participation à une communauté extrémiste". Selon le FSB, ces deux hommes conspiraient pour la création d'un État indépendant qui fasse sécession de la Fédération de Russie. Ils se battaient simplement pour préserver la culture et la langue Erzya, classée comme « en danger » par l’UNESCO.


Depuis l'invasion à grande échelle de l'Ukraine, Sergueï Maryin a manifesté à plusieurs reprises son opposition à la guerre, et a commencé à tenir des piquets de grève solitaires. C'est lors de l'une de ces actions symboliques, dans un centre commercial, en février 2024, que le jeune néo-nazi l'a photographié, écriteau manuscrit en main, avant de la dénoncer aux autorités. En juillet 2024, les forces de sécurité ont fait irruption dans sa maison avec une masse et ont confisqué tous ses appareils électroniques. Et aujourd'hui, le voilà donc envoyé au cachot.


La chasse aux réfractaires


En prison, Sergueï Maryin rencontrera peut-être d'autres "anti-patriotes" : des déserteurs, qui ont refusé d'aller servir de chair à canon sur le front ukrainien. Pour Meduza, la journaliste Lilia Yapparova, a enquêté sur les moyens – souvent illégaux et dangereux – utilisés par des soldats russes et des civils pour échapper à la mobilisation, alors que les pertes s’accumulent et que les recrutements stagnent. Certains vont jusqu’à se blesser eux-mêmes, parfois avec la complicité de médecins moyennant pot-de-vin, pour obtenir une évacuation médicale. Les sommes versées pour obtenir une exemption, un transfert à l’arrière ou une fausse maladie peuvent atteindre plusieurs milliers, voire dizaines de milliers de dollars. Le marché noir prospère : faux certificats médicaux, fausses opérations, diagnostics psychiatriques simulés, voire organisation de « rapts » pour exfiltrer des soldats du front. Mais ces filières sont risquées, révèle Lilia Yapparova : ce sont souvent des arnaques, parfois contrôlées par les services de sécurité russes pour piéger les réfractaires. Face à l’ampleur du phénomène, les autorités russes renforcent la répression : centralisation des registres de conscription, contrôles accrus, arrestations de corrompus et de faux intermédiaires. (Lire ICI, en anglais)


Après l'Ukraine, Taïwan ?


Il en faudra bien davantage pour troubler la quiétude dictatoriale de Vladimir Poutine. Désorganisée, réprimée, morcelée, l'opposition à la guerre n'aura certainement pas voix au chapitre lors du grand raout du 9 mai. Pas si tranquille que ça, pourtant, le Poutine. L'Ukraine, ce "pays qui ne devrait même pas exister", continue de lui tenir la dragée haute. Ces derniers jours, une escouade de drones a réussi à semer une belle pagaille dans le transport aérien russe. Ces mêmes drones parviendront-ils, ce 9 mai, à atteindre la Place Rouge ?


Outre Poutine lui-même, et quelques soldats nord-coréens qui, dit-on, seront de la parade (5), la star des cérémonies du 9 mai à Moscou sera sans nul doute le président chinois Xi Jinping. Avant sa visite d’État en Russie, Xi s'est fendu d'une tribune publiée en russe par le journal officiel Rossiïskaïa Gazeta (traduite en français par Le Grand Continent), dans laquelle "Oncle Xi", comme il aime à être surnommé, affirme bénéficier du soutien total de Vladimir Poutine pour l’annexion de Taïwan. Dans la foulée de la réécriture poutinienne de l'Histoire, et du concept de « Retranslatio imperii » développé par Vladislav Sourkov, ancien idéologue du Kremlin (6), Xi avance une thèse révisionniste, présentant la « rétrocession » de Taïwan à la Chine après la Seconde Guerre mondiale comme un fait historique et juridique incontestable. Il insiste sur l’irréversibilité de la réunification de Taïwan à la Chine, quel que soit le contexte international ou les « troubles induits par des forces extérieures ». Peu importe que, tout comme les Ukrainiens peu enclins à réintégrer l'ex-espace soviétique, les Taïwanais n'aient aucune envie de se retrouver dans le giron totalitaire de Pékin. Inscrit dans la Charte des Nations unies (article 1.2), le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes a beau être un principe fondamental du droit international, Poutine et Xi Jinping s'en moquent éperdument. Avec l'annexion de la Crimée en 2014, et après 1.170 jours de guerre en Ukraine depuis le 24 février 2022, la parade de ce 9 mai 2025 sur la Place Rouge marque en effet une victoire (provisoire) : celle de la terreur sur le droit.


Jean-Marc Adolphe


NOTES

(1). Le « Régiment immortel » est une grande marche commémorative organisée chaque 9 mai en Russie, au cours de laquette les participants défilent en brandissant les portraits de leurs ancêtres ayant combattu ou péri pendant la guerre, qu’ils soient soldats, partisans ou travailleurs de l’arrière. À l’origine, il s’agissait d’une initiative civile et locale, née en 2012 à Tomsk en Sibérie, pour rendre hommage aux victimes et vétérans, dans un esprit de mémoire familiale et collective. Le mouvement a rapidement pris de l’ampleur, s’étendant à des centaines de villes en Russie et à l’étranger, avant d’être récupéré et institutionnalisé par le Kremlin à partir de 2015, notamment lors du 70e anniversaire de la victoire. Vladimir Poutine lui-même y participe chaque année, brandissant le portrait de son père. Dès lors, le Régiment immortel est devenu un outil central de la politique mémorielle et de la propagande d’État : il vise à renforcer l’unité nationale, à glorifier le sacrifice soviétique et à justifier la politique russe actuelle en s’appuyant sur le récit d’un peuple « vainqueur » face à ses ennemis, passés et présents. La marche, qui rassemble parfois plusieurs millions de personnes, est aujourd’hui critiquée pour son caractère de plus en plus orchestré, avec distribution de portraits à des écoliers ou des anonymes pour grossir les rangs, et pour sa dimension nationaliste et militariste.


(2). Pobedobesie (en russe : победобесие) est un terme péjoratif apparu en Russie pour désigner l’obsession ou la « frénésie de la victoire » autour des célébrations du 9 mai, jour de la Victoire sur l’Allemagne nazie. Le mot combine pobeda (« victoire ») et un suffixe signifiant « mania » ou « hystérie », sur le modèle de мракобесие (« obscurantisme »). Le terme pobedobesie a été forgé en 2005 par le prêtre orthodoxe Gueorgui Mitrofanov, en réaction à la montée de ce « culte » lors du 60e anniversaire de la victoire. Il dénonce une dérive où la commémoration du 9 mai se transforme en démonstration de force, en culte quasi religieux de la guerre, et en outil de propagande d’État, occultant la mémoire des souffrances et la complexité de l’histoire


(3). La Mordovie est une petite région de la partie occidentale de la Russie, qui a été historiquement peuplée par deux peuples finno-ougriens : les Erzya et les Moksha. Par ignorance ou par négligence, les Russes ont désigné les deux peuples très différents comme un seul groupe – les Mordvins – et l'exonyme est resté comme le nom de toute la région.


(4). En Russie, un « défenseur laïc » désigne généralement une personne ou un groupe qui milite pour la séparation de l’État et des religions, la défense de la liberté de conscience et l’égalité de traitement de toutes les confessions devant la loi. Le terme s’applique souvent à des militants des droits de l’homme, des juristes ou des intellectuels qui s’opposent à l’influence croissante de l’Église orthodoxe russe dans la sphère publique et politique, ainsi qu’à la tendance à privilégier certaines religions dites « traditionnelles » au détriment d’autres


(5). A l'exception notable du Premier ministre slovaque Robert Fico, aucun dirigeant de l'UE ne sera présent à Moscou. Sont en revanche attendus le président brésilien Lula, qui souhaite manifester son soutien à Poutine, et les dirigeants de l'Arménie, de l'Azerbaïdjan, de la Biélorussie, de la Bosnie-Herzégovine, du Burkina Faso, du Congo, de Cuba, de l'Égypte, de la Guinée équatoriale, de l'Éthiopie, de la Guinée-Bissau, du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Laos, de la Mongolie, du Myanmar, de la Palestine, du Tadjikistan, du Turkménistan, de l'Ouzbékistan, du Venezuela, du Vietnam et du Zimbabwe.


(6). Le concept de « Retranslatio imperii » développé par Vladislav Sourkov, ancien idéologue du Kremlin, désigne la tentative de la Russie contemporaine, sous Vladimir Poutine, de réactiver et d’actualiser la forme impériale dans le contexte géopolitique du XXIe siècle. Alors que la notion médiévale de translatio imperii se référait au transfert du pouvoir impérial d’un empire à un autre (par exemple, de Rome à Byzance, puis à l’Occident avec Charlemagne), Sourkov propose l’idée d’une « re-traduction » ou d’une « réactivation » de ce schéma, adaptée à la Russie post-soviétique. Dans ses écrits récents, Sourkov évoque le « second partage de l’Ukraine » – le premier ayant été, selon lui, entériné par les accords de Minsk en 2014 – et considère que l’annexion de territoires ukrainiens par la Russie s’inscrit dans cette logique de retranslatio imperii. Il présente la Russie comme l’ethnos phare de l’Eurasie, capable de réussir là où d’autres échouent dans la réinvention de l’empire, et affirme que cette dynamique impériale russe suscite désormais l’imitation d’autres puissances cherchant à s’affirmer comme des États « sans frontières ». Sourkov voit dans la politique de Poutine, notamment la guerre contre l’Ukraine, l’ouverture d’une nouvelle ère impériale à l’échelle mondiale, où les grandes puissances (Turquie, Chine, États-Unis) renouent elles aussi avec des logiques d’expansion et d’affirmation impériale. La retranslatio imperii n’est donc pas une simple répétition du passé, mais une opération de « traduction » de l’idée impériale dans le monde contemporain, où la Russie tente de se positionner comme un modèle d’État consolidé, audacieux et guerrier, prêt à redécouper les frontières et à influencer la marche du monde selon ses intérêts stratégiques.

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