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Oumou Traoré, l’être et le par-être



PHOTOGRAPHIE Côté pile : la mode. Côté face : un rituel d’initiation des jeunes filles à leur future féminité. Figure montante d’une photographie féminine au Mali, Oumou Traoré avait été invitée l'an passé à exposer lors du festival C’est comme ça !, à Château-Thierry. Ce festival de danse contemporaine était alors QG de la Saison Africa2020 : dans ce cadre, une résidence fut proposée à Oumou Traoré afin qu'elle saisisse, via des portraits d'artistes, la mémoire de cet événement. Un an plus tard, ses photos sont publiées dans un recueil et exposées en ouverture de l'édition 2022 du festival C'est comme ça, jusqu'au 8 octobre. Les humanités publient avec l'autorisation des auteurs, le texte d'Irène Tassembedo et Christophe Marquis, en préface de l'ouvrage Oumou bolo nô (sur les traces d’Oumou).


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Certaines photographies vous regardent tout particulièrement. Une étrange étrangeté, qui déborde du cadre, bouscule ce que vous croyez savoir de l’humanité et de ses représentations, vient chercher en vous un humus insoupçonné, enfoui dans les cellules du corps. Une archéologie qui remonte à la surface de la peau, qui irrigue la pupille de l’œil, dilate sa conscience du présent.

La première série photographique exposée au QG Saison Africa2020 s’intitule Niakouni, sur des rites pratiqués aujourd’hui encore au Mali où les puissances animistes n’ont pas dit leur dernier mot. Survivance de ce que le rationalisme occidental a séparé : réel et surnaturel. Or, c’est sur cette lisière incertaine, entre surnaturel et réel, que s’aventure le regard d’Oumou Traoré dans Niakouni, un nom qui désigne une cérémonie traditionnelle dans le Bélédougou, région historique du centre du Mali, essentiellement peuplée de communautés agricoles bambaras.

De cette cérémonie d’initiation des jeunes filles à leur future féminité, les photographies d’Oumou Traoré ne prétendent pas faire œuvre de documentaire anthropologique. Ce que ces photographies cadrent, isolent, montrent, ce sont des expressions, des visages, des portraits transformés par le rituel. Une transe ? Peut-être, mais à rebours de ce que ce mot laisse trop facilement entendre : ici, une transe recueillie, infusée, dont les visages collectent l’intensité. Et dont le grimage, loin d’être réductible à la théâtralité d’un paraître, vient souligner l’intensité d’un par-être.

Oumou Traoré, photo extraite de la série "Niakouni"


Dans l’habillement, le chatoiement des étoffes, l’élégance des parures, se lit la dimension d’un par-être qui sait jouer avec l’apparence, sans s’y confondre. Pour Oumou Traoré, il n’y a en tout cas aucun écart de conduite à passer d’un rituel traditionnel aux expressions de ce qui est « en vogue » au sein de la jeunesse de Bamako, comme en témoigne sa série La Mode, présentée conjointement à la série Niakouni lors du festival C’est comme ça !, à Château-Thierry, à l’automne 2021.


Des « petits métiers » à la photographie


Révélée dès son premier accrochage en 2009 aux Rencontres de Bamako - Biennale africaine de la photographie, où elle expose depuis à chaque édition, rien ne destinait pourtant Oumou Traoré à la photographie. Arrivée très jeune à Bamako, elle y enchaîne toutes sortes de petits métiers, dans la coiffure, la restauration et la couture. Cette dernière activité la conduit à rencontrer Amsatou Diallo, avec qui elle se lie d’amitié. Influencée par la figure tutélaire de Malick Sidibe, Amsatou Diallo est aujourd’hui un des grands noms de la photographie au Mali, gagnante du prix Kya de la 12e édition des Rencontres de Bamako. Présidente et fondatrice de l’Association des femmes photographes du Mali (AFPM), elle affirme ainsi un double engagement, tant dans le domaine de l’art que dans la lutte contre les discriminations. « À mes temps libres, confie Oumou Traoré, j’accompagnais Amsatou dans les rencontres de l’Association des femmes photographes du Mali. À l’époque, elle me disait que je pouvais aussi tenter ma chance dans la photographie. » C’est Amsatou Diallo, encore, qui inscrit Oumou Traoré à la Biennale de Bamako, en 2009. Ses premières photos exposées jaillissent des petits métiers qu’elle a pratiqués. Suffisant pour que naissent une vocation et un regard.


Oumou Traoré, photos extraites de la série "La Mode"


Des portraits composés


En 2021, au festival C’est comme ça !, Oumou Traoré n’a pas seulement été invitée à exposer ses séries Niakouni et La Mode. Cette année-là, sous l’égide de L’échangeur - Centre de Développement Chorégraphique National à Château-Thierry, le festival C’est comme ça ! a été Quartier général de la Saison Africa2020, grande manifestation culturelle dédiée aux expressions artistiques du continent africain. Garder une mémoire de cet événement, photographier les artistes présent·e·s et y établir un studio éphémère : telle fut la proposition adressée à Oumou Traoré.


Les photographies qui composent ce recueil (*) sont issues de cette « résidence ». Une commande, puisque c’en était une, constitue un cadre, mais la photographie ne craint évidemment pas le cadre, au sein duquel se révèle tout l’art de la composition. Les portraits des artistes d’Africa2020, composés par Oumou Traoré, sont soutenus par une mise en scène, quelques éléments de décor, et un sens de la pose qui porte une double signature, celle de la photographe et celle de ses « modèles ».


Dans les années 1960-1970, Malick Sidibé (premier artiste africain à avoir été récompensé, en 2007, par un Lion d’or à la Biennale d’art contemporain de Venise pour l’ensemble de son œuvre) avait su imposer la vision d’une « Afrique positive », en montrant une jeunesse active, ouverte d’esprit, décomplexée et porteuse d’aspirations aussi excentriques que légitimes. Des photos réalisées lors de fêtes ou encore dans les

« bals poussières », mais aussi dans son studio, transformé en véritable festival de couleurs, de textures et de matières. L’autre grand pionnier de la photographie malienne, Seydou Keita, réputé pour photographier et immortaliser l’image de la bourgeoisie bamakoise, a donné ses lettres de noblesse à la photographie de studio. Tout en reprenant des codes de la sculpture africaine, Seydou Keita a réussi à rompre avec les clichés colonialistes qui prévalaient alors.


Les photographies réalisées par Oumou Traoré lors d’Africa2020 se souviennent du legs laissé par ces glorieux aînés, et héritent de l’esprit de cette « photographie de studio », mais apportent une conjugaison contemporaine, celle d’une fierté nouvelle, à la fois composée de hiératisme et de fantaisie. Que cette Afrique à venir, qui vient déjà, soit dans le regard d’Oumou Traoré comme pour les artistes dont elle magnifie le portrait, l’œuvre d’une génération où des femmes artistes-créatrices prennent toute leur part, n’est pas la moindre des promesses. Paraître, être, par-être : cheminements d’identités en devenir et en mouvement.


Irène Tassembedo, chorégraphe, directrice de l’École de danse Irène Tassembedo à Ouagadougou, marraine du QG AFRICA2020

Christophe Marquis, directeur de L’échangeur, Centre de développement chorégraphique national de Château-Thierry

De gauche à droite : Wanjiru Kamuyu (Kenya), Nacera Belaza (Algérie), Agathe Djokam (Cameroun)

Photos réalisées par Oumou Traoré lors de sa résidence à L'échageur -QG Africa 2020, en septembre 2021


Oumou bolo nô (sur les traces d’Oumou), parution 17 septembre 2022, édition L'échangeur.


Festival C'est comme ça, du 17 septembre au 8 octobre à Château-Thierry. www.echangeur.org

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